Le patrimoine militaire du fortin du P’tit Sault à Edmundston
En l’an 2000, la Société historique du Madawaska inaugure à Edmundston la reconstitution du fortin du P’tit Sault, d’après les plans originaux, sur l’emplacement original. Cet ouvrage militaire rappelle un épisode marquant de l’histoire des Acadiens du Madawaska, soit la guerre non sanglante d’Aroostook qui s’est soldée par la séparation des Acadiens de la région en deux communautés distinctes, l’une aux États-Unis, l’autre dans la colonie britannique du Canada. Le fortin est perché sur un promontoire d’où les visiteurs peuvent observer la ville et le confluent du fleuve Saint-Jean et de la rivière Madawaska. De là, les guides du fortin du P’tit Sault donnent des renseignements sur les techniques de combat et le mode de vie des militaires qui étaient stationnés à cet endroit stratégique en 1841-1842. La guerre d’Aroostook portait sur un enjeu crucial : la délimitation de la frontière entre le Canada et les États-Unis.
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Comment protéger son territoire et résister à l’ennemi
Au plus fort de la guerre d’Aroostook, entre 1830 et 1842, les Britanniques construisent ce blockhaus en pierre et en bois massif afin de résister aux revendications territoriales des États-Unis dans la région. Les guides-interprètes du lieu expliquent aux visiteurs comment ce fortin était conçu pour permettre aux soldats de défendre leur position pendant des jours. La double orientation de ses deux étages supérieurs donnait accès aux bases de l’édifice pour le protéger d’un assaut rapproché. Ses deux canons pouvaient tirer dans toutes les directions. Les larges meurtrières favorisaient l’observation des environs et leurs volets inclinés amovibles protégeaient les soldats d’éventuels tirs ennemis… une attaque qui ne s’est jamais produite.
Les provisions de bouche, l’eau et les munitions étaient entreposées dans la partie la plus solide de ce bâtiment, son premier étage en pierre, construite directement sur le roc. Les soldats transportaient ces provisions à l’intérieur en gravissant une échelle amovible qui, une fois remontée, empêchait l’ennemi de forcer l’entrée du fortin. Une petite trappe percée dans le plancher du deuxième étage permettait de repousser l’échelle qu’y aurait placée l’ennemi, ou de jeter de l’eau ou de l’huile bouillante sur les assaillants.
Remettre en valeur le patrimoine
À la fin des années 1990, des membres de la Société historique du Madawaska se mobilisent pour faire renaître ce témoin d’une période marquante de l’histoire régionale. Ils retrouvent les plans dans les archives et orchestrent sa reconstruction fidèle dans le respect des techniques d’époque. Les imposantes poutres de bois de ses murs proviennent encore des forêts de la région, et bien qu’elles soient sciées au moulin, l’équarrissage est terminé à la hache pour leur donner l’apparence d’autrefois. Des artéfacts originaux et des reproductions de costumes et de meubles illustrent la vie que menaient les militaires dans ce fortin en 1841-1842.
Un enjeu historique majeur
Le fortin du P’tit Sault fait partie d’un réseau de cinq bâtiments militaires construits tant par les Canadiens que les Américains pour défendre leur interprétation du traité de Versailles de 1783 qui établissait de façon assez floue la frontière entre les deux pays. À compter de 1820, les populations de la région tirent profit des riches forêts de pins de la région du Madawaska-Aroostook en empiétant sur le territoire revendiqué par le pays voisin. Pour éviter que les tensions grandissantes entre les populations américaine et canadienne ne dégénèrent en conflit armé, on construit ces places fortes et on entreprend des négociations. Du côté britannique, au Canada, la priorité est de préserver la voie de passage de la vallée du fleuve Saint-Jean entre le Bas-Canada (le Québec d’aujourd’hui) et le Nouveau-Brunswick. Afin de parvenir à un accord, les Britanniques acceptent par le traité de Webster-Ashburton de 1842 de céder davantage de territoire et de richesse naturelle (les plus belles forêts de grands pins blancs) aux Américains et de tracer la frontière canado-américaine en suivant le fleuve Saint-Jean. Cette frontière prévaut toujours aujourd’hui et les Britanniques avaient vu juste quant à l’importance de la vallée du fleuve Saint-Jean comme voie de passage puisque la route transcanadienne emprunte aujourd’hui encore cette vallée sur plus de 200 kilomètres.
La population acadienne durement touchée
Ces négociations menées sans consulter les populations ont fortement pénalisé les Acadiens qui étaient les premiers habitants d’origine européenne à s’établir de part et d’autre du fleuve Saint-Jean, dans ce territoire fréquenté depuis des millénaires par la nation autochtone malécite. Plusieurs des quelque 2000 Malécites qui vivaient sur les terres concédées aux Américains étaient apparentés à ceux qui se trouvaient désormais du côté canadien de la frontière. De nombreuses familles acadiennes se sont ainsi retrouvées divisées entre deux pays aux institutions, lois, façons de faire et valeurs différentes. À long terme, les Acadiens du Madawaska ont formé l’une des communautés les plus francophones du Nouveau-Brunswick, mais leurs cousins du Maine, aux États-Unis, ont presque perdu l’usage du français.
Le Congrès mondial acadien de 2014, qui a eu lieu au Madawaska et dans les régions limitrophes québécoise et américaine, a néanmoins stimulé l’intérêt pour les racines francophones des Acadiens du Maine.