French Shore, la mémoire des pêcheries françaises à Terre-Neuve-et-Labrador
Une partie importante du littoral de l’île de Terre-Neuve est connue traditionnellement sous le nom de French Shore. Cette appellation provient du fait que les Français avaient, depuis 1713, un droit exclusif de pêche dans cette zone côtière s’étendant du cap Bonavista jusqu’à la pointe Riche. Pendant près de deux siècles, ils ont profité pleinement de ce droit et exploité les pêcheries de cette côte. Puis, progressivement, ils ont été remplacés par les pêcheurs sédentaires britanniques et, à la suite de l’Entente cordiale franco-britannique de 1904, ils ont été dans l’obligation de céder leurs droits de pêche dans cette région. Cependant, encore aujourd’hui, leur présence séculaire trouve écho dans l’abondance de noms de lieux français — côtes, baies, péninsules et villages — ainsi que dans la présence de sites historiques et archéologiques disséminés sur toute la côte.
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Suivre les traces historiques et patrimoniales
La mémoire de la présence des pêcheurs français subsiste en de nombreux endroits du French Shore. Leurs activités quotidiennes se révèlent, par exemple, dans les restes de fours à pain trouvés le long des sentiers aménagés sur la côte ainsi que sur les plages de galets qui servaient autrefois à sécher la morue.
Le Centre d’interprétation de la côte française de Conche présente une exposition sur les sites fréquentés par les pêcheurs français depuis le début du 16e siècle, où figurent notamment des artéfacts provenant de deux navires français ayant sombré en 1707 lors d’un affrontement avec les Anglais. Mais surtout, le Centre présente l’étonnante Tapisserie du French Shore, une œuvre brodée qui raconte, à la manière de la célèbre tapisserie de Bayeux, une histoire illustrée de cette côte française, de la préhistoire jusqu’à aujourd’hui ! Cette tapisserie d’une longueur de 66 mètres a été créée pour célébrer le 500e anniversaire de la présence française à Terre-Neuve.
À Port-au-Choix, il est possible de faire une visite guidée en français et d’assister à une démonstration de cuisson de pain dans un four à pain français reconstitué. À l’« Épine Cadoret » de Croque, on peut admirer les inscriptions laissées par des marins français au 19e siècle. Cette petite ville abrite en outre le seul cimetière français du French Shore, que la France a entretenu jusque dans les années 1970.
En visitant cette région, il est intéressant de s’arrêter au parc provincial Pistolet Bay, un secteur qui était occupé par des pêcheurs basques et français aux 17e et 18e siècles, ainsi qu’au parc national du Gros-Morne, désigné site du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1987.
Un lieu de pêche convoité
Il y a plus d’un millénaire, bien avant l’arrivée des Français, les Vikings fréquentaient la péninsule Great Northern, à Terre-Neuve. Le site de L’Anse aux Meadows a révélé plusieurs vestiges archéologiques de cette éphémère présence des hommes du Nord.
Au début du 16e siècle, des équipages basques ont commencé à pêcher la morue le long des côtes de Terre-Neuve, bientôt suivis par des navires bretons et normands. Durant l’été, les pêcheurs s’installaient sur les côtes pour y sécher et saler le produit de leur pêche, puis retraversaient l’Atlantique l’automne venu. Au fil du temps, à la suite d’hivernements répétés, quelques villages permanents sont apparus.
À la suite du traité d’Utrecht de 1713, les Français perdent leurs colonies terre-neuviennes, mais obtiennent le droit de poursuivre leurs activités de pêche dans une longue zone côtière qui s’étend du cap Bonavista jusqu’à la pointe Riche, au nord-est de l’île : le French Shore. Les clauses du traité prévoient qu’ils peuvent pêcher et préparer le poisson, mais aussi couper tout le bois dont ils ont besoin. Cinquante ans plus tard, la signature du Traité de Paris de 1763 maintient ces droits de pêche, mais le territoire devra désormais être partagé avec les colons britanniques qui s’installeront progressivement sur le territoire. Puis le Traité de Versailles de 1783 modifie les limites du French Shore : les Français fréquenteront dorénavant une portion moindre de la côte est, à partir du cap Saint-Jean, situé au nord du cap Bonavista, et auront accès à toute la côte ouest de l’île, de sa pointe septentrionale jusqu’au cap Ray, située juste au sud de la péninsule de Port-au-Port, la région aujourd’hui la plus française de cette province.
Le déclin progressif des pêcheries françaises sur le French Shore à partir des années 1830, combiné à l’augmentation de la population anglaise locale, entraîne certains conflits. En 1904, la France cède la majeure partie de ses droits de pêche dans le cadre de l’Entente cordiale franco-britannique.
Il y a maintenant plus d’un siècle que les Français ne pêchent plus dans la région du French Shore. Cependant, plusieurs villages majoritairement francophones subsistent au sud-ouest de l’île, sur la péninsule Port-au-Port, peuplés par des pêcheurs acadiens venus s’y installer au début du 20e siècle pour y pratiquer la pêche à la morue et l’agriculture. Dans la région plus au nord, plusieurs organismes culturels et touristiques anglophones ont été mis sur pied pour éviter que cette mémoire ne sombre dans l’oubli, par exemple la Société historique du French Shore, basée dans la ville de Conche, qui préserve et anime le patrimoine matériel et culturel francophone de cette région.