On a longtemps cru que les fromages étaient l’affaire de la longue tradition culinaire de l’Europe. Pourtant, il existe ici des traditions, comme celle du cheddar. Et force est de constater : le pays se fromagise.

Un pays tout cheddar

On dit qu’il fait «couic, couic», «skouic, skouic», «kwick, kwick», ou même «squweak, squweak». On l’appelle fromage en grains, fromage en crottes, curd, même fromage à poutine. Qu’importe le terme qu’on choisit, dans ce fromage très très frais repose la tradition canadienne, et on y mord à pleines dents. Ce qui n’empêche pas la production de fromages plus fins et vieillis.

La Fromagerie St-Albert présente des fromages fins, dont son cheddar 4 ans, ici servi sur des tranches de pomme.

La Fromagerie St-Albert a une gamme de fromages fins, dont son cheddar 4 ans. Photo : Fromagerie St-Albert.

Le Canada se fromagise

Dès 1635, dans l’île d’Orléans, on produisait un paillasson. Il faut faire un bond de 200 ans pour assister à l’ouverture de la première fromagerie «officielle», en Ontario. (Elle est d’ailleurs reproduite à l’Upper Canada Village, un village reconstruit à la mode de 1866 à Morrisburg).

Depuis 1950, la consommation de fromage a plus que triplé. À lui seul, le cheddar est passé d’une disponibilité de 1,3 kg par personne en 1960 à 3,2 kg en 2015, au Canada. Le Canadien moyen a consommé 13,5 kg de fromage en 2022.

Avec une telle quantité, il en a sûrement mangé sur la route! Parce que, disons-le, le fromage, ça voyage bien! On peut glisser cette délicieuse source de protéines dans la glacière, le panier à pique-nique, un sac à dos ou encore le laisser sur la console de la voiture pendant qu’on roule.

L’art du cheddar!

Notre affaire, c’est surtout le cheddar, un produit anglais qui aurait a connu une poussée au Canada français une centaine d’années après la Conquête, en particulier pendant le blocus napoléonien puis les grandes guerres.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la production du lait — et du cheddar — connaît une croissance. Après la guerre, les fromageries canadiennes-françaises écoulent les surplus en fabriquant un fromage très, très jeune, à partir du caillé obtenu en produisant le cheddar. Il crisse sous la dent.

À l’Upper Canada Village de Morrisburg, en Ontario, on peut visiter la reproduction de la toute première fromagerie «industrielle» du pays. Photo : Destination Ontario

Avec le temps, donc, le cheddar typiquement anglais s’est transformé pour devenir une signature culinaire du Québec : le fromage en grains — qu’on appelle aussi la crotte de fromage ou la curd (soit caillé, en anglais), ou encore le fameux fromage à poutine. Aujourd’hui, plus de 60 fromageries le produisent.

La curd évolue, avec les décennies. On en trouve aujourd’hui de l’aromatisée — à l’aneth, à la saveur BBQ ou à la pizza — ou encore sous forme de tortillon, un fromage pressé, enroulé et conservé en saumure. Un véritable délice pour les amateurs de salé!

Chambré, réfrigéré?

La journaliste et auteure Pascale Lévesque a consacré un livre au fromage en grains. Elle relève cette particularité : au Québec, c’est un fromage de comptoir, du moins pendant ses 24 premières heures d’existence. C’est pourquoi vous le trouverez au comptoir-caisse, dans les dépanneurs ou même les stations-service. Même si les Franco-Ontariens et les Acadiens voudraient bien les laisser à la «température pièce», la réglementation provinciale les en empêche. La solution pour retrouver le crissement qui fait partie intégrante de la dégustation? Laisser les grains chambrer une heure, ils retrouveront une bonne part de leurs propriétés amusantes et savoureuses.

«Quel est le meilleur fromage en grains au Québec? C’est toujours celui qu’on est en train de savourer.»
— Pascale Lévesque, journaliste et autrice de «La route du fromage en grains : un guide qui fait skouic, skouic»

Des blocs et des cubes de cheddar de la Fromagerie St-Albert, dans l'Est ontarien.

La Fromagerie St-Albert, dans l’Est ontarien, produit des dizaines de variétés de fromages, dont le cheddar.

Trois adresses pour savourer le fromage en grains

  1. La Fromagerie St-Albert, ouverte en 1894 à Saint-Albert, est l’une des plus anciennes coopératives du Canada. On y fabrique du cheddar, des curds et une cinquantaine de variétés de fromages. Chaque août, on organise dans ce village franco-ontarien, situé entre Montréal et Ottawa, un festival de la curd. (services en français en tout temps)
  2. Island Artisan Cheesehouse, ou la Fromagerie de l’Île-du-Prince-Édouard sert son fromage en grains depuis 2016. Elle lui a donné le nom de SQUEAK-ies. «Un trésor national fait ici», dans les Maritimes, peut-on lire sur le site web de l’établissement. (services en français sur demande)
  3. À la Old School Cheesery, dans le nord-est de l’Alberta, Patrick Dupuis produit depuis 2016 du cheddar, du cheddar aromatisé et du brie. La particularité de l’endroit : il se double d’un économusée, qui met en valeur le travail artisan. (services en français en tout temps)
Un sachet de fromage en grains en provenance de l'Île-du-Prince-Édouard, le SQUEAK-ies.

À l’Île-du-Prince-Édouard, la Fromagerie de l’Isle produit le SQUEAK-ies, un fromage en grains.

Et les fromages fins?

L’apanage du cheddar dans les comptoirs de fromages, c’est du passé. Le nombre de microfromageries a connu une croissance fulgurante, et les fromageries existantes ont varié leur offre. Des arrêts à mettre sur votre liste :

  1. La fromagerie Au fond des bois, dans la région de Richibucto, au Nouveau-Brunswick, se consacre aux fromages de chèvre. La fromagerie porte bien son nom. Et elle est micro, même si son propriétaire Didier Laurent y produit 45 variétés de fromages. Appelez avant de vous présenter.
  2. La fromagerie Kapuskoise, à l’histoire savoureuse, a ouvert ses portes en 2015 dans une petite ville du nord de l’Ontario. Le maître fromager, François Nadeau, a appris l’art du fromage dans les Alpes, après un séjour en Asie où le fromage lui a cruellement manqué. Chacun de ses produits porte le nom autochtone d’un cours d’eau de la région. Seule exception à la règle : le fromage en grains, sans nom, qu’il fait à partir de lait de vache, mais aussi à partir de lait de chèvre.

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