Visiter le Nouveau-Brunswick francophone, cœur actuel de l’Acadie

Aujourd’hui, la communauté acadienne la plus populeuse vit au Nouveau-Brunswick, dans la seule province officiellement bilingue au Canada. Ces quelque 238 865 personnes (selon le recensement de 2016) de langue maternelle française – en très grande majorité des Acadiens – représentent le tiers de la population provinciale. C’est aussi au Nouveau-Brunswick que l’on trouve le plus grand nombre d’institutions, de manifestations culturelles et d’organismes acadiens.

Cette province n’est pas le berceau historique de l’Acadie, qui s’est développée sur les rives de la baie de Fundy, en Nouvelle-Écosse, jusqu’à la Déportation de 1755. Au cours de la seconde moitié du 18e siècle, des centaines de réfugiés ont commencé à peupler le territoire néo-brunswickois actuel. Progressivement, ces Acadiens sont devenus la principale communauté acadienne et se sont dotés de services d’éducation et de santé en français.

De 1960 à 1970, le premier ministre du Nouveau-Brunswick Louis J. Robichaud – un Acadien – leur a fait franchir une étape importante. Il a incarné l’élan qui animait cette communauté et il a procuré aux Acadiens de cette province le statut et les outils dont ils avaient besoin pour s’épanouir pleinement. Les Acadiens du Nouveau-Brunswick font aujourd’hui rayonner leur culture unique avec fougue et créativité.

Un gouverneur à l’embouchure de la rivière Saint-Jean

L’un des premiers gouverneurs de l’Acadie, Charles de Saint-Étienne de La Tour, construit un fort à l’embouchure de la rivière Saint-Jean en 1631. Il s’agit du plus vieil établissement d’importance situé dans la province actuelle du Nouveau-Brunswick. Mais la majorité des Acadiens qui y résident aujourd’hui s’y implantent bien plus tardivement.

L’Acadie des origines se trouvait en grande partie dans l’actuelle province de la Nouvelle-Écosse, jusqu’à ce que l’armée britannique bouleverse leur existence en déportant 6000 Acadiens de cette colonie en 1755. Dans la décennie qui a précédé cette mesure radicale, environ 5000 Acadiens avaient déjà quitté le territoire original de l’Acadie, qui était devenu possession britannique en 1713, pour se réfugier dans les territoires que contrôlait encore la France, notamment dans la future province du Nouveau-Brunswick.

Plusieurs réfugiés choisissent le Nouveau-Brunswick

Les Acadiens qui tentent d’éviter la déportation cherchent refuge sur les rives de la rivière Saint-Jean et sur les bords de mer entre Cocagne, la rivière Miramichi et la baie des Chaleurs. Lorsque la guerre prend fin, en 1763, les Britanniques ont conquis la totalité des territoires français du Canada actuel. Ils ont également pourchassé les Acadiens partout dans les Maritimes et déporté plus de 5000 personnes supplémentaires en France, en plus du premier groupe de 1755. À la fin de ces exactions, en 1764, les Acadiens qui ont échappé à la déportation et ceux qui reviennent d’exil sont autorisés à s’établir où ils le désirent… sauf sur les excellentes terres qu’ils occupaient autour de la baie Française (baie de Fundy), désormais possédées par les Britanniques.

Plusieurs Acadiens choisissent de recommencer leur vie au Nouveau-Brunswick. Ils s’approprient des terres et forment de petites communautés près d’un cours d’eau navigable ou de l’océan. Dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, ils se concentrent autour de Memramcook. Dans le nord-est, ils s’établissent à l’embouchure de la Miramichi, à Caraquet et Nipisiguit. Dans le sud, ceux qui ont choisi la rivière Saint-Jean sont de nouveau chassés par les anglophones fidèles au roi d’Angleterre (les loyalistes) qui fuient la révolution américaine. En 1785, ces Acadiens se déplacent au nord-ouest, dans le Madawaska. C’est à partir de ces établissements pionniers que la population acadienne occupera davantage de territoire, principalement sur les côtes, dans la colonie du Nouveau-Brunswick qui est officiellement fondée en 1784.

Tout est à recommencer

Cette communauté acadienne compte 3700 personnes en 1803. Elle n’a pas de structure officielle. Transplantée dans une colonie majoritairement anglophone, elle tente de s’adapter à l’autorité coloniale britannique et à l’encadrement spirituel que lui prodiguent quelques missionnaires catholiques envoyés du Bas-Canada (le Québec actuel). Une poignée de notables constitue une sorte de gouvernement parallèle.

Sur le littoral nord de la province, la pêche à la morue est le principal moyen de subsistance, complétée par une agriculture à faible rendement et un peu de construction navale. Ces Acadiens habitent le plus souvent sur des terres boisées qui leur procurent du bois de chauffage et de construction. Dans la partie sud de la province, les Acadiens s’adonnent principalement à l’agriculture. À Memramcook et le long de la rivière Petitcodiac, ils reproduisent le système d’aboiteaux qu’ils avaient implanté en Nouvelle-Écosse, sur les rives opposées de la baie Française (baie de Fundy). En quelques années, ces terres fertiles donnent de bonnes récoltes et produisent même des surplus. L’agriculture est également prospère dans le Madawaska, où l’exploitation forestière procure aussi du travail à plusieurs bûcherons. Néanmoins, à part quelques commerçants et quelques propriétaires de petits moulins à scie ou de goélettes de pêche, la population acadienne vit pauvrement.

L’élan de la « renaissance acadienne »

Après l’entrée du Nouveau-Brunswick dans la Confédération canadienne en tant que province fondatrice, en 1867, les francophones de cette province accentuent leur présence dans les Maritimes. Progressivement, des congrégations religieuses fondent quelques collèges d’enseignement supérieur pour garçons et pour filles, ainsi que des hôpitaux, accélérant la formation d’une élite et dispensant toujours plus de services en français. Le premier journal acadien favorise la circulation des idées à partir de 1867. Le commerce acadien du bois, de la pomme de terre, du poisson, des huîtres et du homard se développe. Le point de bascule survient en 1881, à Memramcook, où se déroule la première Convention nationale des Acadiens, que pilotent les notables formés au collège de Memramcook. Six chantiers sont lancés, ceux de la fête nationale, de l’éducation, de l’agriculture, de la colonisation, de l’émigration (pour contrer les départs vers les États-Unis), et celui de la presse écrite. Les Acadiens s’organisent, retrouvent leur fierté et se donnent les moyens de bâtir leur avenir.

Nécessaire persévérance

Malgré cette impulsion salutaire, la population acadienne met du temps à sortir de la pauvreté. Le manque de ressources financières empêche les Acadiens de se lancer en affaires et de devenir propriétaires. Ils occupent souvent les emplois les moins bien payés et les plus vulnérables.

Le mouvement coopératif, qui se développe rapidement dans la première moitié du 20e siècle, améliore leur sort. On ne peut en dire autant du mouvement de colonisation qui a été puissamment soutenu par le clergé catholique et les notables acadiens au tournant du 19e et du 20e siècle, pour occuper de nouveaux territoires agricoles. Ce mouvement ne porte pas tous les fruits escomptés. Au lieu d’affranchir définitivement les pêcheurs de leur dépendance à l’égard des compagnies de pêche anglophones qui les exploitaient, dans bien des cas, la colonisation ne fait que déplacer cette dépendance vers les agriculteurs, qu’exploitent les compagnies forestières anglophones. Car il faut du temps pour défricher de nouvelles terres, et ces terres donnent souvent de maigres rendements, alors les nouveaux colons doivent aussi travailler comme bûcherons, un emploi dur et mal payé.

La persévérance des Acadiens leur permet néanmoins d’avancer. Ils réalisent que le poids du nombre – ils représentent le tiers de la population provinciale en 1931, soit 137 000 personnes – leur permet d’exercer des pressions, même si celles-ci donnent parfois d’amers résultats.

Enfin des gains concrets

En dépit de ces difficultés, au milieu du 20e siècle, ils font des gains en éducation. Un premier archevêque acadien francophone est aussi nommé dans l’archevêché de Moncton. Puis un premier ministre acadien est élu pour la première fois en 1960 : Louis J. Robichaud, un progressiste qui propose un ensemble de réformes destinées à tous les habitants du Nouveau-Brunswick sous le thème « Chances égales pour tous ». Globalement, les transformations que Robichaud applique aux structures municipales et aux services de santé, d’éducation et de justice diminuent les écarts socioéconomiques entre les habitants et les régions de la province, entre les francophones et les anglophones. Il réhabilite la place des Acadiens au Nouveau-Brunswick et stimule leur confiance en leurs moyens.

Pendant les dix années qu’il passe à la tête de la province, Robichaud fait du Nouveau-Brunswick la seule province canadienne officiellement bilingue. Un statut que le successeur de Robichaud, le premier ministre Richard Hatfield, reformule habilement et fait inclure dans la Constitution canadienne en 1982, en reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques du Nouveau-Brunswick. La Charte canadienne des droits et libertés enchâssée dans cette constitution, rapatriée en 1982, servira par la suite de socle aux revendications de toutes les communautés linguistiques minoritaires du Canada – principalement francophones – incluant celle du Nouveau-Brunswick, qui obtiendront davantage de services en français, surtout en éducation.

L’épanouissement d’une communauté

L’effervescence contemporaine de la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick est remarquable, compte tenu des difficultés qu’elle a surmontées, et ce, dans plusieurs domaines : arts, affaires, politique, éducation… Cette réussite repose sur les avancées réalisées dans la seconde moitié du 20e siècle à force de détermination et de persévérance. La création de l’Université de Moncton en 1963 représente un jalon majeur dans les progrès récents réalisés par les Acadiens, en offrant une formation universitaire de haut niveau en français dans de nombreux domaines.

Aujourd’hui, les Acadiens et les Acadiennes du Nouveau-Brunswick sont fiers de leur héritage tout en ayant l’audace de le transformer, de le faire évoluer, notamment dans la grande région de Moncton où ils développent une nouvelle identité urbaine dynamique et prospère. Malgré les menaces inévitables qui planent sur toute communauté linguistique en situation minoritaire, comme la leur, l’Acadie du Nouveau-Brunswick forme une collectivité forte, rayonnante et bien outillée pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain.