Le manoir Louis-Joseph-Papineau, un bâtiment patrimonial doublement important
Le grand manoir seigneurial que Louis-Joseph Papineau fait construire entre 1848 et 1850 à Montebello, en bordure de la rivière des Outaouais, est un immeuble patrimonial classé par le ministère de la Culture et des Communications du Québec depuis 1975. C’est aussi un lieu historique national du Canada depuis 1986. Ces statuts ont été attribués pour deux raisons majeures. D’abord, Louis-Joseph Papineau est un homme politique québécois très important au 19e siècle. De plus, son manoir est un exemple éloquent de l’évolution des résidences et du mode de vie des seigneurs après l’abolition du régime seigneurial en 1854. Jusque-là, ils faisaient partie de l’élite économique, politique et intellectuelle de la Nouvelle-France et du Bas-Canada. Après l’abolition du régime, plusieurs conserveront un statut social élevé, comme Papineau. Les visites guidées de son manoir entièrement meublé et décoré mettent principalement l’accent sur le mode de vie de cette famille bourgeoise dans la seconde moitié du 19e siècle, c’est-à-dire après les années marquantes de la carrière politique de Papineau, qui est aussi présentée dans ses grandes lignes lors de la visite.
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Le domaine et le manoir seigneuriaux
En 1845, Louis-Joseph Papineau profite de l’amnistie accordée aux personnes qui sont tenues responsables des Rébellions de 1837-1838, ou qui y ont participé, pour revenir au Canada après sept années d’exil. À cette époque, sa carrière politique n’a plus la même importance à ses yeux. Papineau consacre désormais beaucoup de temps à sa seigneurie, acquise de son père en 1817, et à son manoir dont il dessine lui-même les premières ébauches sur le modèle des châteaux de la Loire qu’il a admirés pendant son séjour de cinq ans en France. L’architecte français Louis Aubertin finalise les plans de ce grand édifice de trois étages, aux influences architecturales variées, construit avec le bois et les pierres tirés du domaine seigneurial. L’ajout de quatre tours entre 1854 et 1856 accentue cet éclectisme architectural. L’aménagement paysager entourant le manoir et la décoration intérieure sont achevés en 1860.
Les visiteurs découvrent cette imposante demeure après avoir traversé le boisé du domaine sur quelques centaines de mètres et croisé la chapelle funéraire de la famille Papineau, construite en 1855. Papineau jugeait l’emplacement de son manoir idéal, au sommet du cap Bonsecours d’où les résidents et leurs invités apercevaient la rivière des Outaouais. Le soin accordé à l’ameublement et à la décoration intérieurs révèle aux visiteurs le niveau de vie élevé des habitants du manoir. Au rez-de-chaussée, où les Papineau passaient leurs journées, on trouve un salon spacieux où l’on devisait, confortablement assis dans d’élégants fauteuils, tout en dégustant des alcools fins ou en écoutant du piano. La salle à manger luxueuse est reliée directement aux cuisines par un monte-charge dissimulé dans un faux meuble, pour que les plats soient toujours servis chauds. Les nombreuses chambres des résidents et des invités sont situées à l’étage, alors que les domestiques travaillaient et logeaient au sous-sol. La tour octogonale abritait une serre. Un impressionnant escalier en colimaçon relie tous les étages dans la tour ronde. La tour carrée, complètement séparée du manoir afin de minimiser les risques d’incendie, contient les 3000 livres de la bibliothèque de Papineau, dont l’érudition était légendaire, comme l’atteste l’expression populaire « ça prend pas la tête à Papineau » pour désigner un sujet facile à comprendre.
Une partie du domaine et des aménagements paysagers d’origine entourent toujours le manoir que les descendants de Louis-Joseph Papineau ont habité jusqu’en 1929. Ils vendent alors le domaine, le manoir et ses dépendances (à l’exclusion de la chapelle) à Harold Marcus Saddlemire qui forme la corporation Seigniory Club Community Association Limited pour développer un complexe de villégiature comprenant l’hôtel en rondins Château Montebello. Parcs Canada acquiert le manoir et une partie du domaine en 1993 pour en faire un lieu historique national.
Louis-Joseph Papineau, politicien marquant
Élu député pour la première fois en 1808, Papineau se joint au Parti canadien qui est majoritaire à la Chambre d’assemblée du Bas-Canada (le Québec d’aujourd’hui). En 1815, il est élu président de cette Chambre et devient aussi chef du Parti canadien, qui réclame des réformes démocratiques pour accroître le pouvoir des Canadiens français, qui sont en majorité au Bas-Canada. À cette époque, le pouvoir est entre les mains d’un gouverneur nommé par Londres, qui nomme lui-même les membres de son conseil exécutif. Ce système favorise la minorité anglophone et la collusion.
En 1823, Louis-Joseph Papineau et John Nelson, tous deux du Parti canadien, se rendent à Londres pour combattre un projet d’union du Bas et du Haut-Canada dont l’objectif est d’assimiler les Canadiens français à la majorité anglophone qui peuple désormais les colonies canadiennes. Le projet est rejeté et les deux députés rentrent au Bas-Canada en héros. Trois ans plus tard, le Parti canadien prend le nom de Parti patriote pour signifier sa défense plus vigoureuse des intérêts des Canadiens français. En chambre, Papineau s’oppose à plusieurs reprises aux demandes du gouverneur d’utiliser les revenus de taxation sans obtenir l’autorisation de la Chambre d’assemblée, dont c’est l’un des seuls pouvoirs effectifs. Papineau veut ainsi accentuer la pression sur le gouverneur pour obtenir les réformes désirées. Mais cette stratégie conduit à une impasse budgétaire et provoque de vives tensions politiques.
Après une éclatante victoire électorale en 1834, les revendications nationalistes du Parti patriote culminent avec la rédaction des Quatre-vingt-douze résolutions, un document qui détaille les mesures que les principaux ténors du Parti patriote – Papineau en tête – estiment nécessaires pour que la population francophone obtienne les pouvoirs auxquels elle a droit. Le rejet en bloc de ces résolutions par le Parlement de Londres déclenche un mouvement de protestation d’abord pacifique, qui se manifeste entre autres par le boycottage des produits manufacturés importés du Royaume-Uni, qu’encourage Papineau, puis en un mouvement armé, lors des rébellions des Patriotes de 1837 que ne soutient pas Papineau, qui croit encore à la négociation. Forcé de s’exiler en 1837, Louis-Joseph Papineau jouera par la suite un rôle plus effacé. Mais ces trois décennies d’action politique lui confèrent une place centrale dans l’histoire politique du Québec au 19e siècle.