Le drapeau acadien géant de Saint-Louis-de-Kent et le géant Richard qui l’a conçu
Le drapeau acadien est le plus populaire des symboles nationaux acadiens. On le voit flotter et affiché avec fierté en tout temps dans toutes les communautés acadiennes. À Saint-Louis-de-Kent, sur la côte atlantique du Nouveau-Brunswick, où il a été conçu en 1883, un drapeau acadien géant flotte au centre du village depuis 2009 pour souligner le 125e anniversaire de son adoption lors de la seconde Convention nationale acadienne tenue à Miscouche, à l’Île-du-Prince-Édouard, en 1884. Le modèle de ce drapeau adopté à l’unanimité par les délégués présents lors de cette convention a été proposé par Marcel-François Richard, le curé de Saint-Louis-de-Kent qui était aussi président de la troisième commission chargée d’étudier le choix d’un drapeau national acadien. Dans le parc historique où flotte ce drapeau, une statue de Mgr Richard honore celui qui est considéré comme l’un des plus fervents nationalistes acadiens du 19e siècle, un rôle qu’a reconnu le gouvernement du Canada en le désignant personnage d’importance historique nationale en 2004.
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Le parc historique de Saint-Louis-de-Kent
La fierté des résidents de Saint-Louis-de-Kent, ce modeste village de quelque mille habitants voisin du parc national Kouchibouguac, s’est matérialisée en 2009 sous la forme d’un drapeau acadien géant de 9 par 18 mètres hissé au sommet d’un mât de 40 mètres de haut, en face de l’église. Ils voulaient souligner ainsi le rôle déterminant qu’a joué le natif de Saint-Louis-de-Kent et curé du village de 1870 à 1885, Marcel-François Richard, dans la création et l’adoption du drapeau acadien. En 2012, ils ont ajouté une statue en marbre noir de 4 mètres de haut représentant Mgr Richard, puis, en 2013, le lancement du livre Histoire du drapeau acadien s’est aussi déroulé à cet endroit. Saint-Louis-de-Kent se positionne ainsi comme le berceau du drapeau acadien.
On trouve aussi dans ce parc une plaque de bronze soulignant la déclaration de Mgr Richard à titre de personnage d’importance historique nationale, une croix en ciment commémorant la création du Collège Saint-Louis qu’il a fondé en 1874, et le monument de pierre rendant hommage à Joseph Babineau, fondateur de Saint-Louis-de-Kent, auquel on a ajouté une plaque pour souligner la contribution de Marie Babineau, la cousine de Mgr Richard, qui a confectionné le premier drapeau acadien. Non loin se trouve une réplique de la grotte de Massabielle à Lourdes, construite en 1878, où se déroulent des pèlerinages annuels.
Le sens et la popularité du drapeau acadien
Mgr Richard serait satisfait de constater que le drapeau qu’il a proposé réveille dans la population le sentiment d’être Acadien et de vouloir le demeurer, comme il l’espérait. Dans les années qui ont suivi son adoption, certains Acadiens reprochaient à l’étendard de trop rappeler le passé révolutionnaire des Français, par le choix des couleurs bleu, blanc, rouge, pour représenter un peuple aussi catholique que les Acadiens. Mais cette objection s’est rapidement dissipée.
En 1884, lors de la convention de Miscouche, l’abbé Richard exprimait d’ailleurs son désaccord avec les propositions qui s’éloignaient du drapeau français en déclarant : « Pour nous, Acadiens, ce drapeau nous dit simplement que nous sommes français et que la France est notre mère patrie. […] Cependant, je voudrais que l’Acadie eût un drapeau qui lui rappelât non seulement que ses enfants sont français, mais qu’ils sont aussi acadiens. Je suggère donc [que] le drapeau tricolore tel que confectionné serait celui de l’Acadie en y ajoutant dans la partie bleue une étoile aux couleurs papales ; l’étoile qui représente l’étoile de Marie », c’est-à-dire l’étoile de Notre-Dame-de-l’Assomption, la mère de Jésus, qui avait été choisie patronne des Acadiens lors de la première Convention acadienne de 1881. À cette occasion, Mgr Richard avait également tenu un rôle central.
Le nationaliste Marcel-François Richard
Pour devenir prêtre, Marcel-François Richard doit poursuivre ses études supérieures en anglais à Charlottetown dans les années 1860, car le seul collège classique bilingue (français-anglais) dans les Maritimes n’est fondé qu’en 1864, à Memramcook. Le fervent nationaliste que sera toute sa vie l’abbé Richard saisit rapidement l’importance de l’éducation. Il en fera son cheval de bataille et une ligne directrice de son action. En 1874, il fonde un collège pour garçons et un couvent pour filles à Saint-Louis-de-Kent et contribue par la suite à la création d’une cinquantaine d’écoles. Il s’engage également en faveur de la colonisation. Convaincu que les Acadiens doivent étendre leur territoire et développer l’agriculture, Richard ne cessera de favoriser l’ouverture de nouveaux villages. Il sera notamment responsable de la création des paroisses de Rogerville et d’Acadieville et fera construire 14 églises.
Les pressions incessantes qu’il exerce à Rome pour que l’Église catholique romaine nomme un évêque acadien francophone lui vaudront bien des ennuis, car le clergé catholique des Maritimes est dominé par les Irlandais et les Écossais qui se méfient du militantisme acadien de Richard. Le pouvoir que possède un évêque finit tout de même par échoir entre les mains de l’Acadien Édouard-Alfred LeBlanc en 1912, alors que Richard doit se contenter du titre de prélat domestique que lui accorde le pape en 1905.
L’action incessante de Mgr Richard pour développer l’Acadie et préserver l’identité acadienne, distincte de l’identité canadienne-française qui s’enracine dans l’histoire de la Nouvelle-France, et non dans celle de l’Acadie, aura un impact important pendant la période dite de « renaissance acadienne » des dernières décennies du 19e siècle. Cet engagement d’une vie justifie sa désignation de personnage d’importance historique nationale.