Lac La Biche, un site historique majeur de l’Alberta
La localité de Lac La Biche est l’une des plus anciennes de l’Alberta. Elle est d’abord un poste de traite de fourrures fondé dans les années 1790 par la Compagnie du Nord-Ouest pour accéder au riche bassin de fourrures des réseaux hydrographiques de la rivière Athabaska et du fleuve Mackenzie et assurer le transport des fourrures et des marchandises entre ces cours d’eau et la rivière Saskatchewan Nord. En 1852, les Oblats de Marie-Immaculée y implantent une mission pour desservir les Premières Nations, les Métis et les Canadiens français qui vivent dans une vaste région couvrant le nord de l’Alberta et une partie des Territoires du Nord-Ouest actuels. Les bâtiments patrimoniaux remarquablement préservés sont désignés site historique provincial de l’Alberta en 1987 et lieu historique national du Canada en 1989. Les visiteurs y revivent l’histoire en parcourant le site, ses bâtiments et son centre d’interprétation, tout en profitant de la nature environnante et des eaux cristallines du lac La Biche, quasiment inchangées depuis des siècles.
Pour en savoir plus…
Un patrimoine bâti bien préservé dans un environnement superbe
La désignation du lieu historique national de la Mission-Notre-Dame-des-Victoires/Lac-La-Biche souligne l’importance de cet endroit dans le développement de l’Ouest canadien. Situés au carrefour d’une importante route de commerce reliant Saint-Boniface (Winnipeg) au fort Edmonton et aux régions nordiques, tant par voie d’eau que par voie terrestre, le poste de traite et la mission de Lac La Biche ont successivement favorisé le peuplement de la région. Les francophones y ont joué un rôle de premier plan. Leur héritage est encore vivant, puisqu’environ 10 % de la population régionale d’origine franco-albertaine parle toujours le français. Une première école française a été implantée récemment à Lac La Biche et une autre, quelques années auparavant, dans la municipalité voisine de Plamondon, situé sur la rive ouest du lac.
Avec le soutien des élus locaux, la population locale se mobilise dans les années 1970 pour sauver et restaurer les bâtiments de la mission. D’importantes recherches documentaires, des fouilles archéologiques et des enquêtes ethnologiques sont entreprises. Elles conduisent à la conservation du site, à la restauration des bâtiments, souvent avec les matériaux d’origine, au développement d’un programme d’interprétation d’envergure et à la reconnaissance de la mission comme lieu historique national du Canada en 1989. Certains bâtiments ont plus de 150 ans : l’église et le couvent construits au 19e siècle, la scierie à eau (la première construite en territoire albertain en 1871), le poulailler, le lavoir, ou encore le moulin à broyer le grain et le dépôt de glace datant des années 1920, l’un des rares ayant subsisté. La mission du Lac La Biche a été le lieu des premières récoltes de blé commercialisées et de l’apparition de la première imprimerie en Alberta. Les nombreuses pièces du couvent de trois étages, transformées en salles d’exposition, illustrent la vie quotidienne des résidents de la mission et des habitants de la région. Le centre d’interprétation animé par la société historique locale présente aussi des objets issus de fouilles archéologiques et de collections ethnographique ainsi que des documents d’archives et des photographies révélateurs de cette importante page de l’histoire franco-albertaine.
Au musée de Lac La Biche, situé à quelque 10 kilomètres de la mission, dans le village du même nom, le visiteur peut se renseigner sur l’histoire des différentes communautés qui ont vécu à cet endroit : Autochtones, explorateurs, voyageurs, marchands de fourrures, missionnaires, Métis et colons francophones. Des promenades et des aires de pique-nique permettent aux visiteurs de profiter du splendide paysage.
Un carrefour d’échanges
Situé sur la ligne de partage des eaux entre le système hydrographique de la rivière Saskatchewan Nord, qui se déverse dans le lac Winnipeg, et celui de la rivière Athabaska, qui se jette dans l’Arctique via le fleuve Mackenzie, le lac La Biche permet de passer de l’un à l’autre à la suite d’un court portage situé au bout de la rivière des Castors. Cette région regorge de lacs, de rivières et de forêts riches en ressources aquatiques et fauniques. Depuis des millénaires, les peuples autochtones, les Cris et Chipewyans, en bénéficient. À la fin du 18e siècle, les trafiquants de fourrures d’origine européenne y établissent des postes de traite en découvrant à leur tour le formidable réseau hydrographique de la région et son potentiel commercial. Les voyageurs canadiens-français et les Métis connaissent déjà bien la région lorsque David Thompson l’explore et la cartographie au nom de la couronne britannique, en 1798, puisque les canotiers qui le conduisent répondent aux noms de Ladéroute (identifié comme « le guide »), Baptiste Lavallée, Joseph Quartier, François Quartier, Louis Noël, Louis Drouin, Pierre Arseneault, François Raymond, Pierre Lafrenière, Antoine Saint-Martin, Simon Reaume, Baptiste Hébert et Joseph Hébert. À ces noms s’ajoutent ceux de l’Indien, du Petit Orignal et du Grand Picota qui laissent entendre que cet équipage francophone était accompagné par des Autochtones. La traite des fourrures se pratique alors en langue française comme le souligne David Thompson. La toponymie des voyageurs francophones, sans doute inspirée de celle des Autochtones, témoigne aussi de leur présence majoritaire dans la région : rivière aux Brochets, du Grand Courant ou aux Caribous, portages d’Épinettes, lac des Souris et, bien sûr, lac à la Biche !
Dès la fin des années 1790, le poste de traite du lac La Biche fondé par la Compagnie du Nord-Ouest devient un lieu de rencontre privilégié entre les Autochtones, les voyageurs canadiens-français et métis et les marchands britanniques. Quand cette compagnie fusionne avec sa grande rivale, la Compagnie de la Baie d’Hudson, en 1821, le poste de Lac La Biche est abandonné. Bien des voyageurs francophones quittent alors la région pour s’installer sur les terres qu’on leur offre à la rivière Rouge (aujourd’hui Winnipeg). Une période prend fin.
Les Oblats fondent et développent la mission
Quelques familles catholiques accompagnent les Oblats de Marie-Immaculée lorsqu’ils se rendent sur place pour la première fois en 1844. Elles s’y trouvent encore lorsqu’ils y fondent la mission permanente Notre-Dame-des-Victoires, huit ans plus tard. Cette communauté religieuse originaire de France, très présente au Canada dès la seconde moitié du 19e siècle, contribue au peuplement de l’Ouest et offre aux Autochtones, aux Métis et aux Canadiens français des services religieux et éducatifs en français. Les Sœurs grises les rejoignent à Lac La Biche en 1862. Elles y ouvrent un orphelinat et une école qui marque, avec l’école du lac Sainte-Anne et celle du fort Edmonton, le début de l’éducation catholique française en Alberta. Les Sœurs grises sont remplacées en 1905 par les Filles de Jésus, qui offrent des cours de mathématiques, de français, d’anglais, de religion, de dessin, de musique et d’arts ménagers à des écoliers des environs qui s’y rendaient chaque jour et aussi à des pensionnaires métis et canadiens-français, tant filles que garçons. Un résident d’origine métisse de la localité, Edgar Ladouceur, se souvient de s’y être rendu quotidiennement l’hiver en traineau tiré par son chien.
Les Oblats font de Notre-Dame-des-Victoires un centre de ravitaillement pour toutes leurs missions du Nord-Ouest et déplacent leurs activités d’une dizaine de kilomètres vers le nord-ouest, jusqu’à l’emplacement actuel, pour gagner en indépendance par rapport à la Compagnie de la Baie d’Hudson. Lac La Biche devient un siège épiscopal et, rapidement, une communauté autosuffisante et prospère, où les relations entre les Blancs, les Métis et les Autochtones sont bonnes. La mission sera reconstruite et des bâtiments s’ajouteront de la fin du 19e siècle au milieu du 20e siècle. La mission de Lac La Biche fermera de façon définitive en 1963. Aujourd’hui, la mission Notre-Dame-des-Victoires de Lac La Biche est un important lieu de mémoire pour la population locale.