Fort Gibraltar : faire l’expérience du patrimoine de la traite des fourrures
Le fort Gibraltar qui accueille aujourd’hui les visiteurs à Saint-Boniface (Winnipeg), en saison estivale, est une reconstitution du véritable fort Gibraltar que la Compagnie du Nord-Ouest a construit en 1809 à La Fourche, un endroit stratégique situé au confluent des rivières Rouge et Assiniboine, à Winnipeg. À l’époque, l’objectif était de développer le commerce des fourrures et de contrôler les déplacements sur ces deux grandes rivières. Aujourd’hui, le but de cet important site touristique est de faire connaître le mode de vie des voyageurs qui sont à l’origine de la population franco-manitobaine et de faire vivre aux visiteurs une expérience du commerce des fourrures. Dans la dizaine de bâtiments reconstruits selon les techniques d’époque, qui se trouvent à l’intérieur d’une grande palissade de pieux, des guides-animateurs en costumes d’époque incarnent des voyageurs canadiens-français, des épouses métisses, des commerçants et des artisans qui démontrent leurs savoir-faire, leurs loisirs et leurs travaux quotidiens tout en renseignant les visiteurs.
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Reconstituer la vie des voyageurs en 1815
Les guides-animateurs du fort Gibraltar incarnent des personnages de l’année 1815. Par leurs occupations, leurs gestes et leurs propos, ils plongent les visiteurs dans cette époque. Avec d’anciens outils, ils fabriquent des meubles et des objets en bois dans l’atelier de menuiserie, façonnent des objets en fer sur l’enclume et le feu qu’attise un grand soufflet manuel, décorent des vêtements de perles de verre à la manière des femmes métisses et, dans la cabane des hivernants, apprêtent un repas ou s’adonnent aux jeux de force et d’adresse que préféraient des voyageurs.
Les visiteurs découvrent également dans le poste de traite la gamme des fourrures qui étaient échangées à l’époque et une étonnante variété de produits de base et d’objets divers que les commerçants d’origine européenne troquaient avec les chasseurs autochtones qui leur procuraient ces fourrures. En faisant le tour du fort, les visiteurs comprennent comment le réseau des postes de traite dont faisait partie le fort Gibraltar, qui s’étendait dans tout l’Ouest canadien actuel, formait la base de l’entreprise transcontinentale de la Compagnie du Nord-Ouest (CNO). Ils apprennent également comment fonctionnait la traite des fourrures, un commerce fondamental dans l’histoire du Canada. Ce commerce reposait sur l’échange de fourrures de castor, principalement, et de marchandises dont les Autochtones ne disposaient pas : articles de fer, tissus, perles de verre, armes à feu et certains produits agricoles. Le fort Gibraltar met aussi en évidence les relations de partenariat qui existaient entre les chasseurs autochtones, les voyageurs canadiens-français, les guides et interprètes métis et les patrons écossais.
À l’origine de la population franco-manitobaine
L’organisme Le Festival du Voyageur, qui organise ce festival au mois de février chaque année, est le même qui reconstruit le fort Gibraltar à la fin des années 1970, afin de rendre hommage aux voyageurs qui ont été les premiers habitants d’origine européenne à s’établir sur le territoire actuel du Manitoba. Ces milliers de voyageurs – la CNO comptait plus de 2000 employés, majoritairement canadiens-français, vers 1815 – transportaient en canots d’écorce les fourrures et les marchandises entre Montréal et les vastes territoires de l’Ouest et du Nord-Ouest canadiens, un parcours de plusieurs mois et de quelques milliers de kilomètres. Environ la moitié de ces voyageurs n’effectuaient des trajets que dans l’Ouest et y demeuraient pendant plusieurs années. Comme la CNO autorisait les unions entre ses employés et les femmes autochtones « à la manière du pays », c’est-à-dire selon les coutumes autochtones, un grand nombre de ces voyageurs ont fondé des familles stables. Ils sont à l’origine du peuple métis qui formait la majorité de la population francophone du Manitoba actuel au début du 19e siècle. Des religieux et religieuses ainsi que des colons venus du Québec accroîtront cette population francophone à partir du milieu du 19e siècle, puis des immigrants français, belges et suisses la diversifieront davantage vers la fin du 19e siècle.
Le fort Gibraltar historique
Construit en 1809 par la CNO sur la rive ouest de la rivière Rouge, au confluent de la rivière Assiniboine, où se trouve le centre-ville actuel de Winnipeg, le fort Gibraltar cesse vite d’être un important poste de traite de fourrures, car le castor s’épuise rapidement dans la région. Son rôle demeure néanmoins primordial en tant que centre d’entreposage et de distribution du pemmican, cet aliment traditionnel autochtone qui s’impose comme base de l’alimentation des voyageurs. Le pemmican est composé d’environ 40 % de viande de bison séchée, écrasée en poudre et mélangée à 60 % de gras de bison, parfois additionné de fruits séchés également réduits en poudre. Il possède une très grande valeur nutritive et se conserve très longtemps. La chasse au bison et la fabrication du pemmican seront longtemps au cœur de l’économie métisse. Une partie du programme d’interprétation du fort Gibraltar actuel porte sur ce sujet.
Le fort Gibraltar sera également touché par les rivalités entre la communauté francophone de la CNO et la colonie anglophone que Lord Selkirk, le plus important actionnaire de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH), rivale de la CNO, établit à proximité en 1812. Le contrôle de la chasse au bison et de l’approvisionnement en pemmican sera au cœur de cette rivalité, qui provoquera la destruction du fort Douglas, de la colonie de la rivière Rouge et du fort Gibraltar. Finalement, lorsque la CBH et la CNO fusionnent en 1821, le fort Gibraltar passera aux mains de la CBH et sera renommé Fort Garry.