Fort Beauséjour-Cumberland, un jalon historique pour les francophones du Canada
Les forces françaises de la Nouvelle-France ont construit le fort Beauséjour en 1751 pour affirmer leur souveraineté sur l’isthme de Chignectou, qui sépare aujourd’hui la Nouvelle-Écosse du Nouveau-Brunswick. Les forces anglaises l’ont capturé en 1755 et renommé Cumberland. La Commission des lieux et monuments historiques du Canada a classé ce site dès 1926 en raison de son importance historique, car c’est là qu’a commencé l’offensive donnant aux Britanniques le contrôle de tout le territoire canadien actuel, et là qu’a débuté la Déportation des Acadiens. L’excellent état de conservation des lieux était également un atout. Aujourd’hui, le personnel de Parcs Canada anime les lieux et guide les visiteurs dans l’exploration de ce fort en forme d’étoile, le premier construit en Amérique, qui comprend des vestiges de la période française et des constructions ajoutées par les Britanniques. Un musée illustre la vie des soldats de cette époque et la colonisation acadienne de la région. Situé sur un promontoire, le fort offre une splendide vue panoramique des environs.
Pour en savoir plus…
Le fort Beauséjour-Cumberland, 1751-1835
Le gouverneur de la Nouvelle-France, basé à Québec, envoie des troupes dans le territoire contesté de l’isthme de Chignectou au milieu des années 1740. Celles-ci construisent un petit fortin sur l’emplacement actuel du fort Beauséjour-Cumberland en 1749, puis un véritable fort à compter de 1751. Il s’agit d’un ouvrage en étoile, de forme pentagonale, à cinq bastions, le premier du genre en Amérique du Nord, conçu par l’architecte militaire français Sébastien Le Prestre de Vauban. La construction n’est pas terminée lorsque les troupes britanniques l’attaquent en juin 1755, fortes de plus de 2000 hommes, face à une garnison d’une centaine de soldats et de quelque 200 miliciens. Le commandant français capitule après deux semaines de siège.
Les Britanniques conservent ce fort très bien placé et le renomment fort Cumberland. Ils lui apportent diverses améliorations dans les années suivantes : des nouvelles casernes, des magasins supplémentaires, une forge, un atelier de menuiserie et un hôpital. Après la guerre de Sept Ans – ou guerre de Conquête – qui fait du Canada une colonie britannique, le fort Cumberland résiste à l’assaut de troupes venues des États-Unis durant la guerre d’Indépendance américaine, en 1776. Une nouvelle caserne est construite en 1778, puis les troupes régulières se retirent en 1793. Une petite garnison d’entretien demeure sur place jusqu’à l’abandon définitif du fort en 1835. Comme la région est peu habitée, l’ensemble du site est très bien conservé lorsque la Commission des lieux et monuments historiques du Canada le désigne lieu d’importance historique nationale en 1926.
Les fouilles archéologiques menées dans les années 1960 mettent au jour la poudrière et une casemate de l’époque française, des casernes françaises et britanniques, les vestiges de la palissade en bois de 1751 et des milliers d’artéfacts, dont plusieurs sont exposés au musée adjacent au site. La mise en valeur actuelle permet aux visiteurs de circuler sur les remparts du fort, d’observer les vestiges des bâtiments, de constater l’organisation défensive des environs, qui comprend d’anciens postes d’observation érigés au bord de la baie de Fundy et dans les collines voisines, et de se mettre dans la peau des soldats de l’époque (cette animation est destinée aux enfants).
Une région d’une grande importance stratégique
Depuis des siècles, les Micmacs circulent le long des cours d’eau de l’isthme de Chignectou pour se déplacer entre le golfe du Saint-Laurent et la baie de Fundy, sur une distance d’à peine 25 kilomètres, au lieu de faire un détour de 1500 kilomètres par l’océan Atlantique. Quand les Acadiens s’établissent dans cette région, à la fin du 17e siècle, l’isthme de Chignectou gagne en importance comme voie de passage entre les établissements français de la vallée du Saint-Laurent et ceux de l’Acadie.
Lorsque la France cède l’Acadie à la Grande-Bretagne en 1713, par le traité d’Utrecht, les limites sont mal définies du côté de Chignectou, où habitent déjà plusieurs centaines d’Acadiens. La région devient un territoire contesté, provoquant le conflit qui éclate en 1750.
Le drame des Acadiens
Dans les années 1740, les Britanniques raffermissent leur emprise sur l’Acadie qui leur a été cédée en 1713. Les Acadiens de l’isthme de Chignectou, en particulier, subissent des pressions tant de la part des Britanniques que des Français. Les premiers se plaignent que les Acadiens de cette région approvisionnent la ville-forteresse française de Louisbourg et qu’ils accueillent des troupes françaises sur leurs terres et dans leurs villages. De leur côté, les Français pressent ces Acadiens de quitter le territoire revendiqué par les Britanniques pour s’établir dans les zones officiellement françaises et les consolider.
En 1750, quand le conflit éclate près du fort Beauséjour, les Anglais interdisent aux Acadiens de soutenir désormais les Français. De leur côté, les troupes françaises adoptent la stratégie de la terre brûlée pour affaiblir les Britanniques. Elles mettent le feu au village acadien de Beaubassin et forcent les Acadiens à les épauler. Pendant les cinq années suivantes, quelques centaines d’autres Acadiens de l’isthme de Chignectou subissent un sort semblable à ceux de Beaubassin. Ils doivent sacrifier leurs biens, leurs récoltes et leurs terres pour affaiblir l’armée britannique et se réfugier du côté des Français. En vain, car toutes les positions et places fortes françaises en Atlantique tombent aux mains des Britanniques, y compris le fort Beauséjour en juin 1755. Le 11 août, les Britanniques convoquent 400 hommes acadiens dans le fort qu’ils ont renommé Cumberland, soi-disant pour les informer de ce qu’il adviendra de leurs terres. Mais ces Acadiens sont faits prisonniers et seront déportés. Aussitôt après, les forces britanniques parcourent la région pour capturer davantage d’Acadiens, piller et brûler leurs habitations. Au total, quelque 1 014 hommes, femmes et enfants de la région seront déportés à l’automne 1755, sur un total de 2 900 habitants, soit un peu plus du tiers de la population de l’isthme de Chignectou et des trois rivières de Memramcook, Petcoudiac et Chipoudie, situées un peu plus au nord, dans la province actuelle du Nouveau-Brunswick. C’est là qu’a commencé la déportation de 11 000 Acadiens.