Écomusée du fier monde : un musée citoyen de l’histoire industrielle et ouvrière de Montréal
L’Écomusée du fier monde est issu d’organismes communautaires du quartier Centre-Sud de Montréal qui, dans les années 1970, travaillaient à atténuer l’impact négatif de la désindustrialisation. En plus de préserver la mémoire de sa communauté, le musée cherche à en favoriser le développement. Cette orientation « écomuséale » a été privilégiée dès l’origine et se maintient grâce à la participation d’organismes, d’entreprises et de résidents du quartier aux activités et aux collections du musée. Ses expositions racontent l’histoire des travailleurs et de leur milieu de vie au fil des phases d’industrialisation, de désindustrialisation et de revitalisation du quartier Centre-Sud entre 1850 et 2000. La mise en valeur du patrimoine matériel et immatériel que cible cette institution muséale se manifeste par des projets participatifs, des pratiques axées sur l’éducation populaire, l’organisation de circuits urbains thématiques et la désignation de biens patrimoniaux appartenant à des partenaires. Une quinzaine de prix en pratique muséale, éducation et interprétation du patrimoine ont récompensé le travail novateur de l’Écomusée du fier monde.
Pour en savoir plus…
Un musée qui baigne dans son milieu
L’Écomusée du fier monde loge depuis 1996 dans l’ancien bain public Généreux, en activité de 1927 à 1992. À l’époque de sa construction, bien des familles des quartiers populaires de Montréal ne disposaient pas de douche ni de bain privé, ni même d’eau courante. C’est pour pallier les problèmes d’hygiène et de mortalité infantile élevée dans les quartiers pauvres de Montréal que la ville construisit plusieurs bains publics gratuits entre 1910 et 1930. Au bain Généreux, un édifice de style Art déco, une grande piscine répondait de plus aux besoins récréatifs et sportifs de la population. La rénovation-transformation de cette piscine en un espace multifonctionnel autour duquel se déploient les expositions a valu à l’Écomusée un prix d’excellence d’Opération patrimoine architectural de Montréal en 2002. Le bain public Généreux possède une grande valeur autant identitaire qu’architecturale, car il témoigne de la réalité quotidienne de plusieurs générations de résidents du quartier.
L’exposition permanente À cœur de jour : grandeurs et misères d’un quartier populaire souligne les stratégies des familles ouvrières du Centre-Sud pour joindre les deux bouts et s’approprier leur milieu de vie, en plus de présenter l’histoire du quartier à l’aide d’objets, de photographies, de documents et de témoignages éloquents. Les expositions temporaires s’articulent autour des trois champs d’intervention du musée : le quartier Centre-Sud, la culture populaire et le travail en industrie, auxquels s’ajoutent les enjeux contemporains touchant ces thèmes.
La participation citoyenne
Fidèle à ses racines communautaires, l’Écomusée du fier monde participe à la construction contemporaine du quartier de plusieurs façons. Son exposition virtuelle Citoyens : hier, aujourd’hui, demain ! présente plusieurs hommes et femmes qui ont marqué l’histoire sociale de Montréal et contribuent aujourd’hui au bien-être de la population. Son encan-bénéfice annuel met en vente des dizaines d’œuvres d’art témoignant de l’implantation de nombreux artistes dans le quartier, dont les profits sont partagés entre l’Écomusée, les artistes et des organismes communautaires sélectionnés. Le musée distribue également une distinction honorifique, l’Ordre du fier monde, à des personnes ou à des groupes qui ont démontré un engagement exemplaire en rapport à sa mission. L’Écomusée réalise aussi des projets en collaboration avec des adultes en processus d’alphabétisation, comme l’œuvre photographique Voici notre quartier! qui a donné la parole à ces citoyens et leur a permis de partager leur vision du monde. En plus de sa collection muséale « classique » d’objets et de documents, l’institution développe une collection « écomuséale » de bâtiments, d’événements, de lieux et de personnages possédant une signification particulière pour la communauté, mais dont elle ne peut faire l’acquisition, grâce à un processus de désignation qui fait appel à la participation citoyenne.
Aperçu de l’histoire industrielle du quartier Centre-Sud
Le quartier Centre-Sud étant situé près du port de Montréal, sa localisation avantageuse a favorisé son développement industriel à partir du milieu du 19e siècle, et plus encore après la construction des ateliers de chemins de fer du Canadien Pacifique en 1882.
À Montréal comme partout en Occident, la révolution industrielle s’appuyait sur l’embauche d’une main-d’œuvre abondante et sous-payée. Une grande partie de cette main-d’œuvre provenait des régions rurales où la rareté des bonnes terres agricoles forçait la population de plus en plus nombreuse à chercher une autre option en ville. Le développement industriel de Montréal a attiré des milliers de travailleurs non qualifiés qui ont à leur tour favorisé le développement de la ville. En général, les journées de travail en usines étaient longues et les conditions de travail, pénibles. Les femmes et les enfants devaient souvent contribuer à la force de travail familiale pour subvenir aux besoins de tous. Les principaux secteurs d’activité du quartier Centre-Sud étaient le cuir, le textile et l’alimentation.
À partir de 1950, plusieurs usines ont déménagé ou fermé leurs portes et de grands travaux ont progressivement transformé en profondeur le quartier : développement du réseau routier et construction de grands immeubles nécessitant la démolition de commerces et d’habitations. Plusieurs entreprises de communication (secteur télévisuel) y ont établi leurs pénates et de vastes bureaux administratifs y ont vu le jour, comme ceux de la Sûreté du Québec ou de la Confédération des syndicats nationaux. Pendant que plusieurs organismes communautaires venaient en aide aux populations ouvrières durement frappées par le chômage et préservaient ainsi une partie du tissu social traditionnel du quartier, des artistes bénéficiaient de locaux vacants peu dispendieux et recyclaient certains bâtiments industriels désaffectés, comme ceux de l’usine Glover. La transformation du quartier Centre-Sud, aujourd’hui beaucoup plus diversifié qu’auparavant, se poursuit.