Les Acadiens de l’Île-du-Prince-Édouard
La pittoresque Île-du-Prince-Édouard est la plus petite mais la plus densément peuplée des provinces canadiennes. Lors du recensement de 2016, elle comptait 141 015 habitants dont 2 910 (2,1 % de la population) déclaraient parler régulièrement le français à la maison. Par contre, le nombre de parlants français (francophones et francophiles) est en croissance, soit 17 955 personnes ou près de 13 % de la population insulaire. Dans ce contexte, l’organisation, le dynamisme et la résilience de la communauté francophone de l’Île sont remarquables.
Les Acadiens constituent la grande majorité de cette population francophone. Ils se sont établis sur l’île à partir des années 1720. Cette île que les Français appelaient Saint-Jean sera rebaptisée Île-du-Prince-Édouard en 1799 par les Britanniques, en l’honneur du prince de la couronne anglaise qui porte ce nom.
L’implantation française permanente en territoire mi’kmaw
Les Mi’kmaq habitaient l’Île-du-Prince-Édouard depuis des temps immémoriaux lorsque les Français fondent l’Acadie en 1604. Bien que des pêcheurs fréquentent cette île depuis le 16esiècle, aucun Européen ne s’y est établi de façon permanente avant 1720. Cette année-là, un contingent de 300 Français débarque à l’île. Ils viennent pour pêcher et cultiver le sol afin d’approvisionner la ville-forteresse de Louisbourg qu’on est en train de construire sur les rives de l’île du Cap-Breton, dans une région peu propice à l’agriculture.
Quelques familles acadiennes les rejoignent, bien que la majorité des Acadiens préfère demeurer sur les terres productives qu’ils ont endiguées sur les rives de la baie Française (baie de Fundy), même si ce territoire est devenu une colonie britannique en 1713. Plusieurs immigrants français arrivés en 1720 retournent en France au bout de quelques années, de sorte que plus du tiers des 432 habitants de l’île Saint-Jean sont d’origine acadienne en 1735.
La Déportation des Acadiens
Dans l’Acadie d’origine devenue la Nouvelle-Écosse, la fondation de la ville de Halifax en 1749 incarne la volonté des Britanniques de prendre le contrôle de leur colonie. Se sentant menacés, un grand nombre d’Acadiens se déplacent à l’île Saint-Jean qui est encore une possession française. Des centaines d’autres s’y réfugient lorsque la Déportation commence en Acadie en 1755. Mais l’affrontement entre les Anglais et les Français se poursuit et les Britanniques s’emparent de l’île Saint-Jean en 1758 laquelle compte maintenant une population acadienne et française d’environ 4250 personnes. Ils pourchassent les habitants et en déportent les deux tiers vers la France. La plupart des autres se réfugient sur le continent.
La période de reconstruction
La paix revenue, plusieurs familles reviennent s’établir dans l’île se joignant aux quelques autres familles qui étaient restées sur place en1758. Elles sont au nombre de 36 en 1763 et de 117 en 1798. Leur rétablissement s’avère cependant problématique. Les terres de l’île ayant été octroyées à de grands propriétaires terriens britanniques, les Acadiens sont contraints à devenir locataires. Parfois malmenées par ces propriétaires et leurs agents, de nombreuses familles sont contraintes à quitter leurs terres et à recommencer le défrichage ailleurs. Enfin, ils réussissent à s’établir de façon permanente dans plusieurs coins de l’île : dans la région de Rollo Bay (comté de Kings), dans la région de Rustico (comté de Queens), et dans plusieurs régions du comté de Prince, soit à Tignish, Palmer Road, Bloomfield, Baie-Egmont, Mont-Carmel et Miscouche.
Pendant plus d’un siècle après la Déportation, la communauté acadienne demeure un peuple à part et minoritaire dans l’île qu’elle partage avec des colons anglais, écossais et irlandais, et bien sûr avec la petite communauté mi’kmaw. En 1881, avec une population de 10 750 âmes, les Acadiens constituent 10 % de la population de la province.
Les Acadiens qui reviennent s’établir sur l’île dans les années qui suivent la Déportation survivent en s’adonnant d’abord à la pêche. Cependant, ils ne tardent pas à se remettre à l’agriculture. Au cours des années 1760-1860, l’agriculture forme la base de l’économie des communautés acadiennes. Cela n’empêche pas les Acadiens de se consacrer à d’autres occupations, comme la pêche, afin de subvenir à leurs besoins. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’on est contraint de subdiviser les fermes pour accommoder les nouvelles générations. Les revenus qu’on retire de ces petites exploitations agricoles ne suffisent pas à faire vivre convenablement de grandes familles. De plus, il faut trouver les moyens de payer la rente de sa terre.
L’effet bénéfique de la coopération
La coopération joue un rôle important dans la vie économique des Acadiens de l’île. Grâce à leur homogénéité du point de vue ethnique, linguistique, religieux et socio-économique, ils développent un esprit d’entraide communautaire remarquable. À compter des années 1860, les Acadiens créent plusieurs associations coopératives comme la Banque des fermiers de Rustico – reconnue comme le précurseur des caisses populaires en Amérique du Nord – de nombreuses banques de grains de semence et d’autres associations de coopération agricole, comme les fromageries, les cercles d’achat et les cercles des oeufs.
Les pêcheurs tardent à s’organiser comme les agriculteurs. Pour la plupart, ils ne sont que de simples employés, souvent endettés envers leurs employeurs, les propriétaires des entreprises de pêche. En 1909, des pêcheurs de Rustico-Nord deviennent les premiers de la province à s’associer afin d’exploiter leur propre conserverie de homard. Bientôt, les pêcheurs acadiens des autres régions de l’île les imiteront.
Le mouvement coopératif prend de l’ampleur pendant la Grande Crise économique des années 1930. L’une des initiatives les plus marquantes est la création des caisses populaires. Ce concept est bien reçu dans les milieux acadiens et aide beaucoup à développer chez les gens le sens de l’épargne et de l’administration financière.
La coopération demeure un aspect fort important de la vie économique de plusieurs régions acadiennes de l’Île-du-Prince-Édouard. Elle s’adapte continuellement à l’évolution de l’économie et du mode de vie. Si autrefois les coopératives répondaient surtout aux besoins des fermiers et des pêcheurs, de nos jours elles sont beaucoup plus diverses et offrent des services à une grande variété de gens. On trouve maintenant des coopératives dans les domaines de l’habitation, du tourisme, de l’artisanat et de la santé, pour ne mentionner que ceux-là.
Vivre en français
Dans les communautés où ils sont majoritaires, les Acadiens de l’île réussissent assez bien à éviter pendant longtemps l’assimilation culturelle et linguistique. L’anglicisation commence surtout dans la seconde moitié du 19esiècle. Les facteurs sont multiples, notamment le manque d’enseignement en français dans les écoles. D’ailleurs, dans les années 1860 et 1870, le gouvernement de l’Île adopte plusieurs amendements à la Loi scolaire forçant les écoles acadiennes à angliciser leur programme d’enseignement. Parmi les autres facteurs, mentionnons les mariages exogames, le statut inférieur de la langue française, l’urbanisation et le milieu anglophone ambiant.
Afin de contrer ce courant d’assimilation linguistique et culturelle, de nombreuses initiatives sont prises au fil des années. Elles visent l’éducation française tout comme la promotion et la valorisation de l’identité et de la culture acadienne, et de la langue française.
Au niveau des Provinces maritimes, d’importants congrès, nommés « conventions nationales des Acadiens », sont organisés à compter de 1881 où l’on délibère sur les moyens de préserver et de stimuler l’identité acadienne. C’est lors d’un tel congrès, à Miscouche, en 1884, que le drapeau et l’hymne national acadien ont été choisis.
Parmi les nombreuses initiatives de la communauté insulaire, il y a la publication en 1893 du premier journal de langue française de l’Île, L’Impartial. Cette même année, l’Association des instituteurs et institutrices acadiens est créée pour promouvoir l’enseignement du français dans le système scolaire public. Elle tient des congrès annuels jusqu’en 1972. Lors de son congrès de 1919, la Société Saint-Thomas-d’Aquin est mise sur pied afin de promouvoir le développement de la communauté acadienne, notamment en veillant à la formation de leaders en favorisant l’enseignement supérieur.
Aujourd’hui, il existe de nombreuses organisations sur l’île qui ont pour mandat de promouvoir et de développer la langue française et la culture acadienne, mais la Société Saint-Thomas-d’Aquin est reconnue comme étant le principal porte-parole de la communauté acadienne insulaire. Cette organisation a joué un rôle déterminant dans la mise en place de nombreux projets et la création d’institutions qui ont favorisé le dynamisme et la visibilité de la communauté acadienne.
Mentionnons l’hebdomadaire La Voix acadiennepublié à Summerside depuis 1975, les centres scolaires et communautaires de langue française et le Collège de l’Île, institution d’enseignement post-secondaire en langue française.
Bien qu’il fut difficile pour les Acadiens de l’île de préserver leur langue et leur culture, ils ont gagné un certain nombre de batailles importantes au cours des dernières décennies. En 1979, par exemple, il n’y avait qu’une seule école de langue française sur l’île, située au cœur de la région Évangéline. Aujourd’hui, on compte six écoles françaises répandues dans quatre des régions traditionnelles acadiennes et dans les deux principales villes, soit Charlottetown et Summerside. Elles jouent un rôle capital dans le maintien de la langue française dans la province insulaire, permettant en même temps à de nombreux Acadiens anglophones de retrouver leur langue ancestrale.
En 2020, l’Île-du-Prince-Édouard célébrera le tricentenaire de la présence acadienne et française sur ses terres. Après 300 années de survie, contre vents et marées, ces Acadiens et Acadiennes ont toutes les raisons d’être fiers de leurs réalisations et confiants en leur avenir.