Le Banc-de-pêche-de-Paspébiac, joyau patrimonial sur un barachois
Le Banc-de-pêche-de-Paspébiac, en Gaspésie, est un site patrimonial classé par le ministère de la Culture et des Communications du Québec en 1981. Depuis, les Paspéyas ont patiemment restauré et mis en valeur cet ensemble patrimonial exceptionnel situé sur un barachois – un long banc de sable qui s’avance dans la baie des Chaleurs. Dans les onze bâtiments qui subsistent des installations de Charles Robin & Co et de Le Boutillier Brothers Co., les deux compagnies qui ont dominé le marché de la morue séchée au 19e siècle et dont le centre opérationnel se trouvait à Pasbébiac, les visiteurs apprennent tout sur l’industrie de la pêche en Gaspésie à cette époque. De l’organisation particulièrement efficace de ces compagnies jusqu’au mode de vie des pêcheurs, en passant par les traces laissées par les artisans dans leur atelier et la dégustation de morue apprêtée comme autrefois ou selon les tendances gastronomiques contemporaines, dans le restaurant du site, visiter le Banc-de-pêche-de-Paspébiac est une expérience mémorable.
Pour en savoir plus…
Mariage terre et mer
Le mot « barachois » provient du basque « barratxoa » qui veut dire « petite barre ». Ce terme francisé en « barachois » témoigne de la présence des pêcheurs basques à cet endroit aux 17e et 18e siècles, ainsi que dans bien d’autres sites fréquentés par ces pêcheurs sur les côtes du Québec et des provinces maritimes. À Paspébiac, un nom de lieu qui proviendrait du mot micmac « ipsigiaq », qui signifie également barachois, cette longue bande de sable était suffisamment grande et bien située pour que deux importantes compagnies de pêche anglo-normandes y construisent des dizaines de bâtiments aux 18e et 19e siècles. Bien qu’un grand nombre aient brûlé en juin 1964, ceux qui ont échappé aux flammes témoignent de façon éloquente de l’organisation terrestre de ces compagnies maritimes.
Dans le bel et vaste entrepôt en bois de six étages de Le Boutillier Brothers Co., le plus gros bâtiment à structure de bois apparente en Amérique du Nord, construit entre 1845 et 1850, l’exposition principale présente le fonctionnement du commerce de morue séché que ces deux compagnies fondées par des entrepreneurs de l’île Jersey ont dominé. Elles construisaient sur place les barques des pêcheurs qui capturaient la morue, qui était séchée sur les plages de galets, puis mise en baril et exportée principalement en Europe, dans des navires également construits sur place. Ceux-ci rapportaient des marchandises vendues dans les magasins généraux qui appartenaient à ces compagnies, et plus souvent cédées à crédit aux pêcheurs.
Les visiteurs peuvent faire l’expérience de presque toutes les étapes de traitement et de commercialisation de la morue en cheminant d’un bâtiment à l’autre. Dans l’atelier de menuiserie où l’on construisait les barques, les poutres sont couvertes de dates, de noms de bateaux et d’individus, des inscriptions qui sont remises en contexte dans l’exposition de cet atelier. Dans la forge où l’on fabriquait de nombreux articles domestiques et des pièces en métal pour les navires, des activités d’animation plongent les visiteurs dans la peau des artisans du 19e siècle. Dans l’office, le mobilier d’époque évoque les tâches administratives liées aux pêcheries. Dans l’un des hangars, la chambre forte du magasin général de 1906 et trois cook-room (des gîtes à la disposition des pêcheurs), ainsi que le hangar à farine et la poudrière illustrent la diversité des installations construites sur le site.
Patrimoine matériel et immatériel
La beauté de ce barachois et l’intérêt architectural des bâtiments qu’ont érigés ces compagnies au 19e siècle (pour ceux qui subsistent) n’ont d’égal que la valeur des activités et des expériences humaines que révèlent les expositions et les lieux que fréquentaient les pêcheurs et les artisans. Le mariage entre l’héritage matériel des lieux et des bâtiments et le rappel des modes de vie et des savoir-faire qui les ont animés fait la force de ce site qui restitue l’ensemble du mode de vie des entrepreneurs et des pêcheurs gaspésiens de la fin du 18e au début du 20e siècle.
Une histoire de pêche à la fois sombre et lumineuse
Le succès de ces deux entreprises ne peut faire oublier l’impact négatif qu’elles ont eu sur plusieurs pêcheurs.
Charles Robin met les pieds pour la première fois à Paspébiac en 1766. Seuls les Micmacs et quelques habitants d’origine française, dispersés et isolés, habitent alors la baie des Chaleurs. Déjà actif dans ce domaine, Robin repère les avantages du site et l’abondance de morue dans la baie. Bilingue, habile et persévérant, il sait rallier les pêcheurs francophones et il bâtit grâce à son réseau familial de l’île Jersey une grande entreprise qui lui appartient à partir de 1783. Célibataire, il passe 20 ans à Paspébiac, où il vit modestement et développe progressivement son entreprise. Quand il se retire à l’île Jersey, en 1802, il confie son entreprise à ses neveux Philip et James, qu’il a formés. Ceux-ci maintiennent avec succès la position dominante des Robin dans le commerce de la morue séchée jusqu’au 20e siècle, profitant de la forte demande en Europe pour ce poisson que les catholiques mangent les nombreux « jours maigres » (sans viande). David Le Boutillier, lui aussi natif de l’île Jersey, travaille pour Charles Robin à partir de 1827. Puis il fonde sa propre entreprise avec deux frères en 1838, sur le même modèle et au même endroit que la compagnie Robin. Le Boutillier Brothers Co. prend rapidement de l’expansion, ouvrant plusieurs postes de pêche en Gaspésie et au Nouveau-Brunswick, tout en conservant Paspébiac comme centre de ses opérations. À son décès, en 1854, le beau-frère de David Le Boutillier prend la relève et poursuit le développement de la compagnie.
Bien que ces deux entreprises aient largement dominé le commerce de la morue séchée, les pêcheurs qui travaillaient pour elles n’ont pas connu la même prospérité. Car le système mis en place par les compagnies jerseyaises pénalisait les pêcheurs. Elles leur fournissaient à crédit les barques, le matériel de pêche et les biens de subsistance jusqu’à la fin de la saison de pêche. Le pêcheur recevait alors son salaire, habituellement sous la forme de coupons échangeables dans les magasins des compagnies. Comme les pêcheurs étaient sous-payés et que les prix étaient élevés dans ces magasins, plusieurs pêcheurs demeuraient endettés pendant plusieurs années et n’avaient alors d’autre choix que de continuer à pêcher pour les entreprises qui les exploitaient. L’histoire des pêcheries au Québec et dans les Maritimes a pour jalon marquant la capacité de se libérer de ce système aliénant, une transition qui survient au tournant du 20e siècle.