Une présence francophone ancienne à Terre-Neuve-et-Labrador
Terre-Neuve a été la première région du continent nord-américain visitée par des pêcheurs francophones au début du 16e siècle. Leur présence n’est alors que saisonnière : pendant la belle saison, ils débarquent sur les côtes et construisent de modestes installations pour sécher et saler leur poisson. Puis ils retournent en Europe. Ce n’est qu’au 17e siècle qu’apparaissent les premiers établissements permanents, notamment à Plaisance et le long de la côte ouest de Terre-Neuve jusqu’à la pointe Riche.
La population croît très lentement dans les villages anglophones et francophones qui coexistent dans une harmonie relative. Après le traité d’Utrecht de 1713, l’île de Terre-Neuve devient une possession exclusivement britannique. Plusieurs nouveaux colons anglophones s’y établissent, mais quelques noyaux francophones isolés continuent d’y vivre en permanence, même si cela est interdit.
Le peuplement francophone du Labrador est beaucoup plus récent. Plusieurs dizaines de Québécois vont y travailler au début des années 1960. Ces travailleurs spécialisés forment une portion importante de la main-d’œuvre liée à l’exploitation du fer. La plupart habitent Labrador City.
Dixième province à entrer dans la Confédération canadienne en 1949, Terre-Neuve-et-Labrador compte aujourd’hui quelque 3045 francophones, soit 0,6 % de la population (selon le recensement de 2016). Ils vivent principalement dans la capitale St. John’s (Saint-Jean), dans la péninsule de Port-au-Port et à Labrador City.
Les Autochtones, premiers occupants du territoire
La présence humaine sur le territoire actuel de Terre-Neuve-et-Labrador serait très ancienne. Des Autochtones y vivaient il y a 8000 ans, puis auraient disparu il y a environ 4000 ans. Des populations paléo-esquimaudes (les ancêtres des Inuits) les remplacent vers 850 avant notre ère, jusqu’à ce que la nation algonquienne des Béothuks les supplante un peu avant l’an 1000. Des groupes micmacs vivent également dans la partie méridionale de l’île de Terre-Neuve lors de la période de contact avec les Européens.
La colonisation européenne refoule les Béothuks à l’intérieur des terres et bouleverse leur mode de vie, notamment à cause des maladies introduites par les Européens. À la fin du 17e siècle, il ne reste qu’environ 500 Béothuks et la dernière survivante de cette nation, Shawnadithit (aussi appelée Nancy April), décède à St. John’s en 1829. La Commission des lieux et monuments historiques du Canada reconnaît le drame de la disparition des Béothuks en érigeant une plaque à la mémoire de Shawnadithit en 2007, au parc Bannerman.
Les centaines de Micmacs qui habitent la partie sud de l’île de Terre-Neuve à l’arrivée des Européens s’allient aux Français, comme ils le font en Acadie. Certains d’entre eux habiteront en permanence au fort français de Plaisance.
Les explorations européennes
Vers l’an 990, les Vikings fondent une colonie sur la pointe nord de Terre-Neuve, à l’endroit qu’on appelle aujourd’hui l’Anse-aux-Meadows. Mais l’hostilité des populations indigènes les incite à retourner au Groenland. Au début du 16e siècle, des morutiers et des baleiniers basques partis du Pays Basque traversent l’Atlantique à la recherche de morues et de cétacés. Ils parviennent aux confins d’une grande île inconnue, la future Terre-Neuve, où ils reviendront de façon sporadique dans les décennies suivantes. Vers 1540, ils commencent à fréquenter ces eaux de manière régulière.
Grâce à de nombreux développements scientifiques et techniques, les Européens se lancent dans de vastes campagnes d’exploration et de colonisation à la fin du 15e siècle. En 1497, Giovanni Caboto se rend jusqu’à l’île outre-Atlantique encore peu connue et en prend possession au nom du roi d’Angleterre Henri VII. Il la baptise New Found Land. Les appellations Terre Neuve et Terra Nova apparaissent ensuite sur les cartes dans les années 1510 et 1520.
En marge de ces expéditions de prise de possession financées par les rois, les pêcheurs bretons, basques, anglo-saxons, portugais et espagnols fréquentent de plus en plus régulièrement les eaux très poissonneuses situées au large de Terre-Neuve, qu’on appelle les Grands Bancs. Ils s’établissent sur les côtes pendant l’été afin d’apprêter leurs prises. La première traversée connue d’un navire de pêche français survient en 1504. Déjà, dans les années 1530, des dizaines de navires font annuellement la traversée et reviennent dans les ports européens chargés de morue séchée et d’huile de baleine. Quand il y passe en 1536, Jacques Cartier constate la présence de plusieurs navires « tant de France que de Bretagne », ce qui l’incite à revendiquer ce territoire au nom du roi de France François Ier.
De la pêche saisonnière à l’établissement permanent
Au milieu du 16e siècle, les ports de France envoient annuellement plusieurs centaines de navires vers Terre-Neuve pour la saison de pêche. En présence d’autres nations, notamment des Anglais, il devient nécessaire de donner plus de poids aux prétentions françaises sur ce territoire en y fondant une véritable colonie : ce sera Plaisance, petit village maritime situé sur la côte sud de l’île de Terre-Neuve. On y érige un petit fort en 1662. Les quelque 200 habitants de Plaisance sont placés sous l’autorité d’un gouverneur, représentant de Sa Majesté de France.
Les Anglais attaquent Plaisance en février 1690. En vain. Les Français décident alors de consolider les fortifications de Plaisance. Ils érigent une palissade de rondins renforcée d’un talus de terre qui ceinture le village et construisent le fort Saint-Louis, sur une colline qui domine la baie, pour mieux défendre le chef-lieu de la colonie française de Terre-Neuve. En riposte aux attaques britanniques, les Français confient au militaire canadien le plus illustre, Pierre Le Moyne d’Iberville, le mandat d’attaquer les établissements de pêche anglais. Cette campagne d’hiver de 1696-1697, menée tambour battant par des miliciens et des soldats qui se déplacent à la course en raquettes à neige, sera la plus cruelle de la carrière de d’Iberville. La capitale anglaise St. John’s capitule, puis les Français la pillent et l’incendient. Trente-six autres établissements seront pillés et incendiés de la sorte ; 200 personnes sont tuées et 700 autres sont faites prisonnières. Il ne reste aux Anglais que Bonavista et Carbonear. Mais d’Iberville est rappelé à la baie d’Hudson et le traité de Ryswick intervenu entre la France et l’Angleterre rétablit la situation pour les Anglais. Cette campagne destructrice ne sera cependant jamais oubliée.
Au début du 18e siècle, les résidents français de Terre-Neuve sont environ 450 : colons, soldats et pêcheurs, concentrés sur le littoral sud de l’île.
Une ère de compromis
Après un autre long conflit, l’Angleterre et la France signent finalement un grand traité de paix à Utrecht en 1713. La France cède de façon définitive ses possessions terre-neuviennes aux Anglais. La plupart des colons francophones quittent alors l’île pour s’installer à l’île du Cap Breton, alors appelée l’Isle Royale. Mais certains choisissent de rester en respectant les conditions précisées dans le « French Treaty Shore », une disposition qui autorise la pêche saisonnière uniquement le long des côtes de l’île, entre Cape Bonavista et Pointe-Riche. Cette région s’appellera désormais le « French Shore », la côte française de Terre-Neuve. La cohabitation se passe relativement bien entre les pêcheurs anglais et français de Terre-Neuve jusqu’au commencement de la guerre de Sept Ans, en 1756, un nouvel affrontement qui force les Français à partir.
Avec la signature du traité de Paris, en 1763, l’Angleterre accorde à nouveau à la France la permission de pêcher sur le French Shore, sans toutefois permettre leur établissement permanent. Elle cède plutôt les deux petites îles de Saint-Pierre-et-Miquelon pour compenser la perte de l’île du Cap Breton (en Nouvelle-Écosse actuelle) et offrir un lieu de résidence aux Français qui pêchent sur les Grands Bancs. En l’absence d’établissements français permanents à Terre-Neuve, des colons et des pêcheurs anglais investissent la French Shore. Le traité de Versailles, signé en 1783 par la France et l’Angleterre, change les limites de cette French Shore, laissant aux Français un accès à la côte ouest entre Cape St. John et Cape Ray.
Précarité et disparité de la communauté francophone
Bien que la pêche saisonnière décline à partir des années 1830, la France reste déterminée à conserver ses droits de pêche et à maintenir sa présence à Terre-Neuve. La population locale grossit timidement, car les quelques Français qui se sont quand même établis à Terre-Neuve, dans des endroits isolés, malgré l’interdiction, vivent dans la peur de devoir retourner en France.
L’Entente cordiale de 1904 permet aux vieilles rivalités franco-britanniques de s’apaiser. Une partie de cet accord concerne Terre-Neuve : la France renonce à ses droits territoriaux en échange d’un accès équitable aux eaux poissonneuses des Grands Bancs, pendant toute la saison de la pêche. Quelques pêcheurs français venus principalement de Saint-Malo, en Bretagne, s’établissent alors de manière permanente dans la péninsule de Port-au-Port. Leurs descendants vivent à présent dans les communautés de l’Anse-à-Canards, de Maison d’Hiver, de la Grand’Terre et de Cap Saint-Georges. Des Acadiens s’établissent aussi tout près, dans la baie Saint-Georges, à Sandy Point, à Stephenville et dans la vallée de Codroy, venant grossir les rangs des francophones de l’île.
L’autre noyau de francophones qui vit dans la capitale de la province, à St. John’s, est très différent de ces populations historiques constituées pour l’essentiel de pêcheurs et d’anciens pêcheurs. Ce noyau est plus récent et se compose de Franco-Terre-Neuviens-et-Labradoriens, de Québécois, d’Acadiens, d’Européens, de Saint-Pierrais et d’Africains.
Quant à la population francophone du Labrador, elle est tout aussi récente. Un contingent de travailleurs québécois immigre dans cette région au début des années 1960, attiré par les emplois spécialisés dans l’industrie minière. Ces francophones sont différents des membres des communautés d’expression française de Terre-Neuve, qui n’est devenue officiellement Terre-Neuve-et-Labrador qu’en 2001. Ainsi, si la disparité des origines et des réalités ainsi que l’éloignement géographique expliquent la structuration plus complexe de la communauté francophone de Terre-Neuve-et-Labrador, celle-ci n’en demeure pas moins dynamique et active.
Les francophones de Terre-Neuve-et-Labrador aujourd’hui
Terre-Neuve-et-Labrador compte aujourd’hui quelque 3045 francophones, surtout regroupés à St. John’s, dans la péninsule de Port-au-Port et au Labrador. À force de ténacité, cette petite minorité, qui représente 0,6 % de la population provinciale, est parvenue à améliorer de manière notable les droits scolaires et les services provinciaux en français. Le Réseau culturel francophone de Terre-Neuve-et-Labrador veille à la promotion et au développement de la culture francophone dans la province.
C’est à La Grand’Terre, dans la péninsule de Port-au-Port, que la première école francophone ouvre ses portes en 1984. La création de la Route des ancêtres français, qui va de La Grand’Terre jusqu’à Cap Saint-Georges, est inaugurée en 1994. Cette voie patrimoniale resserre les liens entre les quelque 750 francophones de la péninsule.
Les francophones de St. John’s possèdent deux écoles, des lieux culturels, le journal Le Gaboteur et un petit nombre d’autres organismes. C’est aussi dans cette ville que sont concentrés la majorité des 26 065 anglophones de la province capables de s’exprimer en français, conséquence des quelque 7000 jeunes de la capitale qui s’inscrivent chaque année dans les classes d’immersion française.
Les quelque 700 Franco-Labradoriens vivent surtout à Labrador City, à Wabush et à Happy Valley-Goose Bay. La plupart d’entre eux viennent du Québec, ils en sont proches géographiquement et maintiennent donc des liens étroits avec la majorité francophone de cette province.
Adopté en 1986 et hissé pour la première fois en 1987, le drapeau franco-terre-neuvien-et-labradorien rappelle les origines et l’histoire des francophones de cette province : le trio « bleu blanc rouge » évoque la France, les deux voiles gonflées rappellent les pêcheurs et la couleur jaune, l’Acadie. La branche de tamarack et la fleur de sarracénie sont les emblèmes de la province. Célébrée dès 1992, le 30 mai est officiellement la Journée de la francophonie terre-neuvienne-et-labradorienne depuis 1999.