Le Québec, pilier de la francophonie canadienne
La province de Québec, en tant que seul État francophone sur le continent nord-américain, est le centre de la culture française au Canada et en Amérique du Nord. Ses quelque 6,4 millions de locuteurs qui ont le français comme langue maternelle représentent près de 80 % de la population totale du Québec. Ils contrôlent leur destin en votant des lois et des budgets favorables à leur épanouissement dans les domaines de compétence provinciale, à l’Assemblée nationale du Québec. Ils sont les seuls francophones à détenir cet avantage au Canada.
Les premiers immigrants français peuplent le territoire actuel du Québec à partir de 1608. Ils circulent ensuite à travers le continent dans toutes les directions, vers l’ouest, le sud et le nord, et contribuent au fil du temps à créer toutes les communautés francophones à l’ouest du Québec. Malgré la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques en 1760, cette communauté va demeurer francophone et développer une culture et un patrimoine qui lui sont propres.
Aujourd’hui, le Québec français est en bonne santé et rayonne sur la scène internationale dans plusieurs domaines. Ses artistes, ses créateurs, ses entrepreneurs, ses travailleurs et ses politiciens contribuent à la vitalité de la francophonie canadienne et internationale. Néanmoins, le défi de s’épanouir en français en Amérique du Nord demeure constant et exige de la part des Québécois autant d’amour que de détermination.
La Nouvelle-France, à l’origine du peuplement francophone en Amérique du Nord
Au 16e siècle, des Français, des Basques, des Espagnols et des Anglais fréquentent les côtes du Canada actuel pour pêcher la morue. Ces pêcheurs sont les premiers à échanger avec les Autochtones. Vers 1580, Tadoussac, à l’embouchure de la rivière Saguenay, dans l’estuaire du Saint-Laurent, devient le principal centre d’échanges de fourrures et d’objets de traite entre les Autochtones et les Européens. C’est pour prendre avantage sur ses concurrents que l’explorateur Samuel de Champlain se rapproche des sources d’approvisionnement en fourrures en remontant le Saint-Laurent et qu’il fonde Québec en 1608.
Après des débuts précaires, la Nouvelle-France s’enracine durablement lorsqu’une vague d’immigrants français permet de hausser la population de la colonie à 15 000 habitants, qui s’établissent presque tous entre Québec et Montréal dans la seconde moitié du 17e siècle.
Une colonie à l’influence continentale
Les missionnaires, les explorateurs et les commerçants de fourrures étendent l’influence de cette colonie à des milliers de kilomètres à la ronde. Très mobiles, les Français nés en Nouvelle-France, qu’on appelle des Canadiens, se déplacent à la recherche de fourrures et d’âmes à convertir jusqu’aux Grands Lacs, à la baie d’Hudson et au golfe du Mexique. Grâce aux bonnes relations qu’ils entretiennent avec la plupart des peuples autochtones, ils sillonnent même les grandes plaines du centre du continent au milieu du 18e siècle.
Au fil de leur progression, ils établissent des forts pour maintenir l’alliance avec les nations autochtones, canaliser la traite des fourrures et protéger leur territoire. La Grande Paix de Montréal, conclue en 1701, illustre cette constante stratégie d’alliance inaugurée par Champlain et perpétuée par ses successeurs. Au centre de la colonie, dans la vallée du Saint-Laurent, les Canadiens sont en majorité des agriculteurs autosuffisants.
Spécificité culturelle des Canadiens
Les Français nés en Nouvelle-France – les Canadiens – se distinguent rapidement des habitants de la France. Les grands espaces, la faible densité de population, le climat, l’accès à la terre et le contact avec les Autochtones créent des différences notables. Les paysans, qui forment 75 % de la population, bénéficient d’un niveau de vie plus élevé que leurs homologues français. Ils ont accès à davantage de ressources et les redevances dues aux seigneurs et aux représentants du roi sont moins élevées que dans la mère patrie. Les forces de l’ordre sont aussi moins présentes et le poids des autorités, moins lourd. En raison du nombre réduit d’aristocrates et de bourgeois et de la forte mobilité de la population, la hiérarchie sociale est moins marquée.
La Conquête britannique
L’aventure française en Amérique bascule lors de la défaite militaire des Français, des Canadiens et de leurs alliés autochtones contre les Britanniques en 1759-1760. Le principal impact de la Conquête britannique sur les 60 000 habitants de la Nouvelle-France est une perte de pouvoir économique et social. Après une période d’incertitude, l’Acte de Québec de 1774 maintient les droits de propriété antérieurs et permet aux Canadiens, que les vainqueurs britanniques décrivent comme un peuple paisible et travaillant, de pratiquer la religion catholique, de parler la langue française et de s’éduquer en français. Ces conditions favorables permettent une transition non violente. L’Acte constitutionnel de 1791 représente un nouveau contrat politique qui sépare la colonie britannique en deux nouvelles entités politiques : d’un côté, le Bas-Canada (le Québec actuel), qui regroupe une majorité de francophones ; de l’autre, le Haut-Canada (l’Ontario actuel), qui concentre une majorité d’anglophones. Ce dernier groupe est composé de nombreux immigrants britanniques et de loyalistes restés fidèles à la Couronne britannique qui ont fui la révolution américaine. Chacune des nouvelles colonies est dotée d’un conseil législatif, composé de membres nommés à vie par la monarchie britannique, et d’une assemblée législative, composée de députés élus à la majorité ayant le droit de voter des lois. Cette assemblée fait figure de Parlement et représente donc la première institution parlementaire du Québec. Assez rapidement, les tensions augmentent entre le conseil législatif, qui défend les intérêts de la Couronne britannique, et l’Assemblée législative animée par des députés essentiellement canadiens-français. Ces tensions conduisent à une crise politique qui éclate avec les Rébellions de 1837-1838.
La détérioration des conditions de vie des Canadiens français
Au 19e siècle, l’autosuffisance que pratiquaient nombre de paysans de la Nouvelle-France ne permet pas d’accumuler assez d’argent pour acquérir les biens manufacturés, de plus en plus nombreux, et les outils de plus en plus nécessaires pour accroître la productivité. Les conditions de vie des Canadiens français se dégradent de façon plus marquée après 1815, avec la fin des guerres napoléoniennes. La Grande-Bretagne, qui comptait sur le Canada pour se ravitailler en bois et en blé pendant le blocus continental imposé par Napoléon, réduit ses importations et fait face à une crise économique sur son territoire. Durant les années 1820, bien des chômeurs du Royaume-Uni se dirigent vers les colonies et l’immigration britannique s’accroît considérablement dans le Haut-Canada et le Bas-Canada. Ces nouveaux venus tendent à prendre les emplois les mieux rémunérés dans les villes, notamment autour des activités portuaires et dans le commerce. La population francophone trouvant peu d’emplois dans les villes, elle demeure dans les campagnes où la forte natalité des Canadiens français fait augmenter rapidement la population. Cette situation contribue à créer une forte pression démographique sur les terres et entraîne leur morcèlement, l’occupation de terres peu fertiles et l’appauvrissement des populations rurales francophones.
Le sort des Canadiens français qui demeurent en ville n’est guère meilleur. En dépit des premiers balbutiements de l’industrialisation, les emplois dans les manufactures sont d’abord réservés aux immigrants britanniques. Seuls quelques Canadiens français peuvent devenir des entrepreneurs-propriétaires. Plusieurs d’entre eux grossissent donc les rangs d’un prolétariat sous-payé au service des Canadiens d’origine britannique qui, bien qu’en minorité, dominent la scène économique grâce au soutien de l’administration britannique, à leurs capitaux et à leur esprit d’entreprise. Cette minorité anglophone occupe ainsi le premier rang de la société.
Un certain nombre de Canadiens français connaissent du succès dans le commerce, bien plus que dans l’industrie et la finance. Mais la plus grande partie de l’élite canadienne-française se compose de membres des professions libérales : avocats, médecins, politiciens et membres du clergé.
La scène politique
À partir des années 1830, une crise sévit dans les campagnes, causée par la pénurie de nouvelles terres fertiles où la jeune génération pourrait s’établir. Un grand nombre de jeunes gens sont donc contraints de s’établir sur des terres pauvres, d’aller travailler comme journalier chez d’autres agriculteurs ou de s’expatrier aux États-Unis. Cette crise en alimente une autre, politique celle-là, provoquée par l’incapacité de la majorité canadienne-française élue à l’Assemblée législative du Bas-Canada de faire appliquer les réformes qu’elle promeut. Le chef du Parti patriote, Louis-Joseph Papineau, tient tête au gouverneur nommé par Londres ainsi qu’à son conseil exécutif, qui détiennent l’essentiel du pouvoir et veillent avant tout aux intérêts de la minorité d’origine britannique. L’affrontement entre les deux factions paralyse l’administration de la colonie et les travaux de l’Assemblée. Ces deux crises convergent lors des rébellions des patriotes de 1837 et 1838, des soulèvements armés opposant les patriotes à l’armée britannique.
Ces rébellions auront de graves conséquences, car lord Durham, qui enquête sur leurs causes, conclura à la nécessité d’assimiler les Canadiens français. En 1840, Londres fusionne donc ses deux colonies canadiennes en une seule : le Canada-Uni, où les francophones sont en minorité et l’anglais est choisi comme la seule langue officielle. Toutefois, la réalité démographique et linguistique héritée des colonies du Haut-Canada et du Bas-Canada est si différente qu’il faut créer deux administrations, dont l’une est francophone. Devant l’intense réaction de défense des Canadiens français, l’usage du français est de nouveau reconnu officiellement en 1849. L’instabilité de cette structure politique conduit à l’élaboration d’une nouvelle organisation politique : la Confédération canadienne de 1867.
Le pouvoir et l’influence de l’Église catholique
L’Église catholique est un acteur clé de la sauvegarde du fait français au Canada après la réforme politique de 1840. L’Église avait été affaiblie par la Conquête britannique, car la religion catholique était interdite en Angleterre. Mais elle avait réussi à amadouer le nouveau pouvoir colonial pour éviter sa disparition après 1763. Par la suite, le haut clergé se range derrière le pouvoir en place, notamment lors des rébellions de 1837 et 1838, et il reste neutre dans les querelles politiques et économiques qui secouent la société coloniale au milieu du 19e siècle. L’Église gagne la confiance des autorités et se fait accorder des pouvoirs en matière d’éducation et de santé après 1840. Comme elle a dû pendant plusieurs décennies se débrouiller avec des moyens financiers limités et ne recruter son clergé que dans la colonie, elle est très proche de la population, qui la respecte. Elle profitera de ce double avantage pour devenir le fer de lance du fait français au Québec et au Canada.
Entre 1846 et 1860, les congrégations religieuses revigorées ouvrent plusieurs nouveaux collèges classiques et créent la première université francophone en Amérique : l’Université Laval. L’Église supervise aussi le développement d’un réseau d’écoles primaires et diversifie son action : promotion de la langue française, création d’organismes religieux qui structurent les communautés, efforts pour retenir la population francophone au Québec par la colonisation de nouveaux territoires agricoles, services aux communautés francophones émigrées, ouverture d’hôpitaux et soutien aux organismes laïcs proches de l’Église, comme la Société Saint-Jean-Baptiste et les Caisses populaires Desjardins… Rapidement, l’Église occupe une place centrale au Québec et dans les autres communautés francophones. Parallèlement, les élites laïques formées dans les collèges classiques dirigés par les religieux et les religieuses renforcent la collectivité canadienne-française dans presque tous les domaines. Ces développements entraînent, au tournant du 20e siècle, un fort courant nationaliste canadien-français se manifeste, basé sur trois piliers dominants : l’attachement « sacré » à la langue française, à la religion catholique et à la France.
Quelques décennies plus tard, les liens étroits qui se développent progressivement entre l’Église et le pouvoir politique vont éloigner celle-ci de la population. Le pouvoir de l’Église deviendra distant et autoritaire et finira par provoquer une rupture brutale de son influence dans les années 1960, après une période d’émancipation de la pensée laïque, des arts et de la science qui prend de la vigueur à partir de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945).
Un potentiel qui sommeille
Le dynamisme constructif longtemps lié à l’Église ne tarde pas à se transformer en impact négatif. En effet, en mettant constamment ses fidèles en garde contre la richesse et la modernité qu’incarnent le pouvoir anglo-protestant et la culture matérialiste américaine, l’Église freine le développement des Canadiens français. Le dicton populaire « on est né pour un petit pain » illustre l’état d’esprit d’une grande partie de la population du Québec au tournant du 20e siècle.
Les courants novateurs qui provoquent le développement de la science, des arts et de l’entrepreneuriat, qui stimulent les luttes ouvrières et la syndicalisation et qui soutiennent l’affirmation économique et politique cheminent lentement dans la société québécoise. Les meneurs de ces courants se heurtent aux forces conservatrices, religieuses et politiques, qui voient dans les valeurs traditionnelles le meilleur moyen de perpétuer la culture française. En conséquence, pendant que la communauté canadienne-anglaise profite de l’industrialisation de plus en plus poussée, particulièrement à Montréal, pour s’enrichir et mettre en place des hôpitaux, des universités, des banques et des musées, pendant que les Américains investissent dans l’exploitation des ressources naturelles du Québec et font de grands profits, la majorité canadienne-française peine à améliorer son niveau de vie.
La Révolution tranquille
Au milieu du 20e siècle, des politiciens, des intellectuels et des professionnels canadiens-français, de mieux en mieux formés, articulent un projet politique progressiste qui reçoit finalement l’appui de la population lors des élections provinciales de 1960. Le slogan électoral du parti élu est « Maîtres chez nous ». Cette victoire électorale marque le début de ce qu’on appelle la Révolution tranquille : une transformation profonde et rapide de la société québécoise, qui concrétise les élans et les projets jusque-là contenus.
Le gouvernement remplace l’Église dans tous les secteurs : éducation, santé, orientation politique, et même spiritualité, car la pratique religieuse s’effondre. Le développement de la majorité francophone devient une priorité. Pour pallier la rareté de capitaux privés détenus par des Canadiens français – qui deviennent des Québécois –, le gouvernement investit d’importants capitaux publics. La recherche scientifique et artistique, la quête d’identité, l’affirmation nationale et le développement des affaires occupent l’avant-plan. La société tout entière se lance dans un vaste mouvement de modernisation, qui porte fruit.
La montée du nationalisme québécois
Ce fort mouvement d’émancipation s’accompagne de la montée d’un courant nationaliste prônant la souveraineté du Québec. Le fondement de cette idée remonte à la création du Canada, en 1867, que vantaient les partisans de ce projet et que critiquaient les opposants. Dans ce projet de pays, en effet, les francophones seraient définitivement mis en minorité après avoir lutté pour éviter cette situation. Par contre, dans la province de Québec, où ils seraient en majorité, ils obtiendraient pour la première fois un véritable pouvoir démocratique, exécutif et législatif, dans certains domaines. Aux yeux des partisans, le Canada était un remède à la dégradation constante des conditions de vie des francophones depuis 1791. Les opposants y voyaient plutôt la confirmation des pertes historiques. Cette opinion contrastée perdure encore aujourd’hui dans les débats entre souverainistes et fédéralistes québécois. Les premiers croient essentiel de centraliser tous les pouvoirs au Québec. Les seconds estiment qu’il vaut mieux rester au sein du Canada pour profiter des ressources d’un grand pays comme le Canada et avoir un plus grand impact sur la scène nord-américaine et mondiale.
Le Québec d’aujourd’hui et de demain
Quoi qu’il en soit de ce débat politique, le Québec d’aujourd’hui s’est doté d’outils de défense et de promotion du français qui ont renforcé sa spécificité culturelle et linguistique, héritée d’un mélange d’influences françaises, autochtones et britanniques. Le Québec contemporain est présent sur la scène internationale dans les forums de la francophonie, dont au premier chef à l’Organisation internationale de la Francophonie. Il accueille des immigrants de plusieurs pays du monde qui enrichissent et complexifient sa trame sociale et culturelle. Le Québec est également actif à l’échelle canadienne, notamment grâce à sa politique du Québec en matière de francophonie canadienne publiée en 2006 et de ses programmes d’appui à la francophonie canadienne. Il joue un rôle actif au sein du réseau gouvernemental en francophonie et s’engage à travailler de concert avec ses partenaires au Canada à la promotion, à la protection et à la pérennité du français au pays. Les femmes jouent maintenant un rôle important dans la société et l’égalité homme-femme est devenue une valeur québécoise qui fait consensus.
Les quelque 6,4 millions de citoyens qui vivent, travaillent, étudient, créent et s’expriment en français au Québec représentent la portion la plus importante de la francophonie canadienne. Ils en sont aussi le principal moteur, grâce aux nombreuses et solides institutions francophones québécoises. Un grand nombre de Québécois vivent dans les autres régions du Canada et, inversement, bien des francophones des autres provinces viennent au Québec afin de profiter du plus important marché francophone en Amérique du Nord et des services en français les plus développés. Aujourd’hui, plus que jamais, le Québec apporte une contribution majeure au rayonnement et à l’avenir de la culture, de la langue et du patrimoine français au Canada.