Nouvelle-Écosse, terre d’origine de l’Acadie
Les Français fondent une première colonie permanente sur le territoire canadien actuel en 1604, sur les rives de l’actuelle baie de Fundy, en Nouvelle-Écosse. Ces pionniers sont des « défricheurs d’eau ». Au lieu de s’attaquer à la forêt pour développer l’agriculture, ils inventent un ingénieux système de digues et d’aboiteaux qui leur permet d’assécher et de cultiver les vastes marais laissés à découvert à marée basse. Ces terres agricoles très fertiles leur procurent un niveau de vie enviable pour l’époque.
En 1755, cependant, l’armée britannique dépossède ces 14 000 Acadiens et déporte la majorité d’entre eux vers les Treize colonies américaines et la France. À partir de 1764, les Acadiens qui ont échappé ou qui ont survécu à la Déportation peuvent s’établir à nouveau en Nouvelle-Écosse et dans les territoires britanniques adjacents, en petits groupes, à l’exclusion des terres fertiles qu’ils cultivaient, qui sont redistribuées à des immigrants britanniques.
Le parcours des Acadiens de la Nouvelle-Écosse sera par la suite semé d’embûches. Fiers de leur héritage, ils relèveront avec ténacité de nombreux défis. Aujourd’hui, cette communauté francophone de 33 345 personnes (selon le recensement de 2016) est la deuxième en importance dans les provinces maritimes.
L’Acadie au 17e siècle
Le petit groupe de quelque 80 pionniers français qui fonde l’Acadie en 1604 passe un premier hiver meurtrier à l’île Sainte-Croix. L’année suivante, la quarantaine de survivants s’établit à Port-Royal, que leurs descendants occuperont de façon quasi permanente pendant un siècle et demi. En 1670, l’Acadie ne compte encore que 400 habitants. Ce lent développement s’explique par des dissensions entre ses dirigeants, par le peu d’intérêt que la France porte à ce territoire et par le harcèlement des rivaux anglais qui sont établis à proximité, en particulier ceux qui habitent Boston.
L’Acadie naissante passe d’ailleurs à quelques reprises de l’Empire français à l’Empire anglais, et vice-versa. Ces changements d’allégeance ne modifient pas tellement la réalité quotidienne des Acadiens, mais les poussent à développer une grande indépendance. Ils sont alliés et se marient parfois aux Micmacs, les Autochtones qui habitent ce territoire depuis des siècles. Ils demeurent toujours attachés à la France, mais en même temps entretiennent des relations commerciales régulières avec les Bostonnais. Le noyau fondateur de la colonie compte à peine une cinquantaine de familles provenant principalement de la région centre-ouest de la France.
Le système d’aboiteau
Ces ingénieux agriculteurs développent une pratique unique en Amérique du Nord : celle des aboiteaux. Elle consiste à assécher les marais de la baie Française (aujourd’hui baie de Fundy) en les protégeant des plus hautes marées au monde à l’aide de digues, qu’ils érigent en groupe, à marée basse. La population acadienne jouit ainsi de terres exceptionnellement fertiles et d’une nourriture abondante en temps de paix. La gestion de ce riche terroir est communautaire, une approche qui accroît l’interdépendance et la solidarité de cette communauté d’Acadiens tissés serrés.
Pendant la longue période de paix qui s’étend de 1710 à 1744, la population acadienne se multiplie et installe son système d’aboiteaux un peu partout dans la partie est de la baie Française.
L’Acadie ou la Nouvelle-Écosse ?
En 1713, la France cède définitivement l’Acadie aux Britanniques, qui nomment cette colonie Nova-Scotia (Nouvelle-Écosse). Mais les Britanniques ne développent et ne peuplent pas tout de suite leur nouvelle possession. Les militaires stationnés parmi la population acadienne n’imposent pas fermement leur autorité. Ce territoire demeure donc largement francophone. Mais en 1744, la rivalité entre les Empires français et anglais reprend de plus belle. Les Acadiens se trouvent pris en étau entre les deux Empires.
Pour éviter de prendre les armes contre leurs cousins français, ou contre les Micmacs, les Acadiens refusent de prêter un serment d’allégeance inconditionnel à la Couronne britannique. Ils veulent rester neutres dans ce conflit qui ne sert pas leurs intérêts. Mais les Britanniques perçoivent ces francophones catholiques comme de mauvais sujets, voire comme une menace interne, sans compter qu’ils occupent les meilleures terres. En 1749, les Britanniques se préparent à lancer une vaste offensive contre les possessions françaises du territoire canadien actuel en fondant la ville d’Halifax. Ils décident également de transformer la Nouvelle-Écosse en une véritable colonie britannique.
La Déportation des Acadiens
En 1755, l’armée britannique appuyée par les milices américaines vide la Nouvelle-Écosse de ses habitants. Entre 1755 et 1763, elle va déporter plus de 11 000 Acadiens sur une population totale de 14 000 personnes, et conquérir tous les territoires français du futur Canada. Un grand nombre d’Acadiens vont en mourir. Ceux qui échappent à cette extorsion brutale se réfugient dans des zones encore non habitées des provinces maritimes actuelles, ou en Nouvelle-France.
Le passage au Régime anglais
Après 1764, les survivants acadiens dépossédés sont de nouveau autorisés à s’établir en Nouvelle-Écosse, mais pas sur les terres fertiles qu’ils occupaient, qui sont redistribuées aux 12 000 planters britanniques qui affluent dans la colonie. Il est également interdit aux Acadiens de se regrouper. Ils se dispersent donc autour de la Nouvelle-Écosse, ainsi qu’au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard, en petits groupes.
Ces Acadiens doivent repartir à zéro. Eux qui étaient en majorité des agriculteurs deviennent surtout des pêcheurs. Ceux qui demeurent en Nouvelle-Écosse s’établissent dans les régions qu’ils habitent encore aujourd’hui : baie Sainte-Marie, grande région de Yarmouth et autour de l’île du Cap-Breton. Pendant plusieurs années, ils subissent diverses formes de discrimination : ils ne peuvent acquérir une terre avant 1768, ni ouvrir une école avant 1786, et ils n’obtiennent le droit de vote qu’en 1789.
Lente récupération économique
Longtemps, les Acadiens de la Nouvelle-Écosse en sont réduits à pratiquer une agriculture de subsistance et à fournir une main-d’œuvre captive aux compagnies anglo-normandes qui exercent un quasi-monopole sur la pêche à la morue. À compter de 1850, cependant, la diversification des pêcheries va profiter aux Acadiens. De nouvelles pêches se développent, celles du hareng, du maquereau et surtout du homard. Davantage d’Acadiens construisent leurs propres embarcations et deviennent ainsi propriétaires de leur goélette ou de leur chaloupe. D’autres se spécialisent dans la construction navale et vendent leurs bateaux à des pêcheurs ou à des marchands. Quelques-uns se livrent avec succès au commerce maritime de proximité – au cabotage – ou même au long cours, notamment ceux de l’île Madame et de la baie Sainte-Marie. L’industrie forestière procure aussi du travail à plusieurs Acadiens et quelques-uns deviennent propriétaires de moulins à scie. Lentement, une élite éduquée, ou commerçante, se constitue, structure et dynamise les communautés.
Confédération canadienne et renaissance acadienne
En 1867, la Nouvelle-Écosse devient l’une des quatre provinces fondatrices du Canada. Mais l’avancée décisive se produit quelques années plus tard pour les Acadiens. En 1881, la première Convention nationale des Acadiens marque le début de la « renaissance acadienne ». Les notables des trois provinces maritimes s’y rassemblent : quelques députés élus, des prêtres, marchands, avocats, enseignants et médecins de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard. Ils apportent leur contribution à un mouvement plus global d’émancipation des francophones du Québec et du Canada, ainsi que des États-Unis où plusieurs se sont expatriés pour trouver du travail. La Nouvelle-Écosse compte alors 41 000 Acadiens.
L’objectif des conventions acadiennes qui vont se succéder pendant quelques décennies est d’« acadianiser » la société dans laquelle ils forment une importante minorité. Les Acadiens réclament des évêques et des sénateurs, choisissent des signes identitaires comme une fête nationale et un drapeau, ils créent des institutions comme la Société nationale L’Assomption, et cherchent à corriger la situation déficiente de l’éducation française. Ils veulent aussi construire un patrimoine proprement acadien. Dans la province de la Nouvelle-Écosse, il y a pénurie de professeurs qualifiés et une absence de manuels en français. La création du collège d’enseignement supérieur privé Sainte-Anne, à Pointe-de-l’Église, en 1890, par des pères eudistes venus de France, constitue une amélioration importante. Beaucoup plus tard, en 1930, les autorités provinciales accorderont enfin aux Acadiens le droit d’enseigner en français jusqu’à la 6e année.
Résilience et persévérance
De 1880 à 1941, la population acadienne de la Nouvelle-Écosse passe de 41 000 à 66 000 personnes. Leur croissance est freinée par l’émigration aux États-Unis et un taux d’assimilation à la communauté anglophone évalué à 30 %. Même si certaines régions connaissent des élans de prospérité, une majorité d’Acadiens demeure pauvre. L’essor de la coopération, fortement soutenue par le clergé, puis le développement des programmes sociaux et l’application de mesures de développement régional par le gouvernement canadien, au milieu du 20e siècle, contribueront progressivement à améliorer leur niveau de vie.
Perspectives d’avenir
À partir des années 1960, la perception des anglophones à l’égard des Acadiens devient plus favorable. Elle se manifeste notamment par une connaissance plus répandue de la langue française de la part des anglophones. Davantage de politiciens acadiens se font aussi élire et certains d’entre eux occupent des postes de ministres. À partir de 1981, il est possible d’offrir des cours en français partout où la population le justifie. L’histoire des Acadiens, jusque-là occultée, fait également son apparition dans les programmes scolaires. Ces gains ne font cependant pas l’unanimité. Les difficultés de longue date des Acadiens en Nouvelle-Écosse ont été si grandes que certains parents acadiens accueillent froidement ces nouveaux programmes de français, craignant que leurs enfants soient pénalisés par une éducation unilingue française.
Aujourd’hui, il existe un réseau scolaire francophone complet en Nouvelle-Écosse, des écoles primaires locales (là où le nombre le justifie) jusqu’au niveau universitaire. Une loi sur les services en français a également été adoptée en 2004 par le gouvernement provincial. Les Acadiens de la Nouvelle-Écosse disposent maintenant de tous les outils nécessaires à leur développement, dans un contexte social plus favorable. Bien qu’ils ne représentent qu’un faible pourcentage de la population totale de la province (3,7 % en 2016), ils sont concentrés dans quelques régions où leur présence a plus de poids. Néanmoins, pour les 33 345 francophones, en majorité d’origine acadienne, le défi de faire rayonner la culture et la langue française demeure constant dans cette province.