La francophonie des Territoires du Nord-Ouest, récente et ancienne
Selon le recensement de 2016, 1365 francophones vivent dans les Territoires du Nord-Ouest, principalement à Yellowknife, soit environ 3,3 % de la population totale. Le français est l’une des onze langues officielles des Territoires du Nord-Ouest, avec l’anglais et neuf langues autochtones. Mais pendant un siècle, de 1892 à 1984, la langue française a été marginalisée, malgré son importance pour nombre de Métis et d’Autochtones. Depuis les années 1770, en effet, les commerçants de fourrures canadiens-français et métis francophones entretenaient des relations privilégiées avec les Autochtones de cette région nordique. Ces deux groupes se mêlaient aux Autochtones dans des milieux de vie fortement métissés. Jusqu’au tournant du 20e siècle, les Métis francophones étaient très influents. Aujourd’hui, l’origine de la dynamique francophonie contemporaine des Territoires du Nord-Ouest est bien différente de ces racines anciennes. Elle est euro-canadienne et internationale.
Le noyau francophone de la capitale Yellowknife
Comme les autres habitants des Territoires du Nord-Ouest, les francophones sont concentrés dans la principale ville, la capitale Yellowknife, où ils forment 5,1 % de la population. Les services et les activités en français y sont également plus développés qu’ailleurs. À peine deux francophones sur dix sont nés dans les Territoires. Ils proviennent principalement du Québec et de l’Acadie et 10 % d’entre eux sont d’origine étrangère. Cette francophonie mobile, puisque plusieurs personnes ne passent que quelques années dans les Territoires du Nord-Ouest, est dynamique et bien organisée.
Le principal point d’ancrage de la vie en français à Yellowknife est la maison Laurent-Leroux, du nom d’un des premiers Canadiens français à s’établir sur les rives du Grand Lac des Esclaves, en 1786, et à y marier une Autochtone. Ce bâtiment est aussi connu sous le nom de « maison bleue ». Y sont regroupés les bureaux de la Fédération franco-ténoise, de l’Association franco-culturelle de Yellowknife (AFCY)), du journal L’Aquilon et de la radio communautaire Radio Taïga.
L’AFCY est l’organisme chargé de promouvoir et d’encourager les arts et la culture dans la communauté francophone de Yellowknife et de favoriser son développement. Elle orchestre une programmation variée, mariant cinéma, spectacles musicaux, représentations théâtrales, conférences, expositions, ateliers et repas communautaires. L’un des événements francophones les plus courus est le brunch annuel de la cabane à sucre, qui se déroule lors du Snowking’s Winter Festival, au mois de mars.
La station Radio Taïga et le journal hebdomadaire L’Aquilon informent la population franco-ténoise sur l’actualité politique, sociale et culturelle des Territoires du Nord-Ouest. Il existe à Yellowknife et à Hay River un programme d’éducation en français langue première, de niveaux primaire et secondaire, et une garderie francophone à Yellowknife.
Ces services et ces activités permettent à la communauté francophone de maintenir son identité dans un contexte multiculturel où les descendants des divers peuples autochtones représentent un peu moins de la moitié de la population. Les langues autochtones ne sont cependant parlées couramment que par environ 20 % d’entre eux, alors que l’anglais rallie les trois quarts de la population.
Un combat, des succès, des revers
La première organisation franco-ténoise voit le jour en 1978. Son objectif initial est de faire installer une antenne pour capter les émissions françaises de Radio-Canada. L’obtention de cette antenne stimule l’intérêt des francophones de l’ensemble des Territoires du Nord-Ouest, qui se regroupent pour demander davantage de services. Conjugué aux réformes de la constitution canadienne, en 1982, qui accorde une meilleure protection aux droits linguistiques des minorités, l’impact est important. Les Franco-Ténois obtiennent le rétablissement du français comme langue officielle. Puis les initiatives de l’Association franco-culturelle de Yellowknife et de la Fédération franco-ténoise permettent d’améliorer les services en français dans les domaines de la santé et de la culture, surtout à Yellowknife, mais aussi à Hay River, à Fort Smith et à Inuvik.
Comme dans bien d’autres milieux francophones minoritaires, le combat pour l’obtention de services d’éducation en français est une priorité. Dans les Territoires, il est difficile. Les parents francophones obtiennent la création d’un programme de français langue première en 1989, mais pendant dix ans, il est dispensé dans des locaux temporaires inadéquats. Les élèves emménagent enfin dans l’école Allain St-Cyr à Yellowknife en 1999, gérée par une commission scolaire francophone l’année suivante. Une autre lutte s’engage ensuite pour que cette école et celle de Hay River offrent des services équivalents – par exemple un gymnase – à ceux des écoles anglaises, car bien des parents francophones évaluent la qualité globale du milieu scolaire où ils enverront leurs enfants, plutôt que la seule langue d’enseignement.
De la traite des fourrures aux mines de diamant
Les Français du temps de la Nouvelle-France, puis les Canadiens français et les Métis francophones au service des Britanniques pratiquent le commerce des fourrures dans tout le territoire canadien actuel à partir de la vallée du Saint-Laurent. Samuel Hearne, un employé de la Compagnie de la Baie d’Hudson, atteint une région isolée des Territoires du Nord-Ouest actuels en 1770-1771, mais son expédition n’a pas de lendemain. Alors que l’arrivée de commerçants de fourrures canadiens-français dans la région du Grand Lac des Esclaves, à compter de 1770, est à l’origine d’une longue histoire économique, sociale et culturelle.
Jacques Beaulieu est le premier à s’y établir vers 1770. Ce commerçant indépendant s’unit à une Amérindienne de la nation Chipewyan et leur fils François Beaulieu, né en 1771, deviendra le chef des Couteaux-Jaunes (Yellowknives Dene) à l’âge adulte, nation dans laquelle il a grandi. Ce Métis francophone deviendra l’un des commerçants de fourrures les plus influents de l’histoire des Territoires du Nord-Ouest, ainsi qu’un guide et un interprète. Il fait notamment partie de l’expédition d’Alexander Mackenzie jusqu’au Pacifique, en 1793, avec cinq autres francophones. Le missionnaire oblat Émile Petitot recueillera plusieurs années plus tard la version de Beaulieu de sa rencontre avec Mackenzie. L’explorateur aurait demandé : « Chez vous, y a-t-il quelqu’un qui entende le français ? » Ce à quoi Beaulieu aurait répondu : « Sans nul doute ! […] Nous sommes tous ici Français ou fils de Français. »
Bien sûr, cette réponse ne vaut pas pour tous les Territoires du Nord-Ouest actuels, mais le réseau d’alliance de ce commerçant indépendant, qui était suffisamment influent pour tenir tête à la puissante Compagnie de la Baie d’Hudson, s’étendait du Grand Lac des Esclaves jusqu’à la frontière actuelle avec le Yukon. Comme plusieurs autres Métis et Canadiens français, qui travaillaient pour la Compagnie du Nord-Ouest, et plus tard pour la Compagnie de la Baie d’Hudson, ou encore à leur propre compte, les relations de François Beaulieu avec les Autochtones étaient pour ainsi dire fusionnelles. C’est pourquoi, pendant plusieurs générations, les familles Beaulieu, Lamoureux, Laferté, Desjarlais, Mandeville, Prud’homme, Giroux, Deschambeault, Sabourin et autres, d’origine francophone, ont eu des membres dans un grand nombre de communautés des Territoires du Nord-Ouest, et ce, jusqu’à aujourd’hui.
À compter de 1858, des missionnaires francophones s’implantent dans ces communautés métisses francophones. Une vingtaine d’années plus tard, conformément à la politique du gouvernement canadien, leur action se tourne de plus en plus vers l’assimilation des Autochtones et des Métis, en collaboration avec les missionnaires protestants anglophones. Dans le même esprit, le gouvernement canadien fait signer aux Autochtones deux traités de cession du territoire afin d’exploiter les ressources naturelles. Dans les années 1930, les pilotes de brousse favorisent la découverte de mines de radium, d’or, de plomb et de zinc, ce qui amène de plus en plus d’habitants d’origine européenne dans les Territoires du Nord-Ouest. Ce développement s’accélère durant la Deuxième Guerre mondiale et inverse progressivement la proportion d’habitants autochtones ou métis.
Depuis les années 1980, à l’exemple des francophones, les Autochtones bénéficient de modifications apportées à la constitution canadienne. Il existe aujourd’hui un meilleur équilibre entre les divers groupes présents dans les Territoires du Nord-Ouest, entre les Autochtones, les Métis, les Franco-Canadiens et les Anglo-Canadiens. Avec plus de 700 personnes impliquées dans le commerce des fourrures, ce secteur de l’économie demeure dynamique. Cependant, l’exploitation des mines de diamant est le principal moteur économique des Territoires du Nord-Ouest.