La communauté francophone diversifiée de l’Ontario
À l’extérieur du Québec, c’est en Ontario qu’on trouve le plus grand nombre de francophones. Selon sa définition inclusive de francophone, l’Ontario comptait 622 415 francophones en 2016, ou 4,7 % de la population provinciale.
Le peuplement francophone s’est produit par vagues. Les habitants de la Nouvelle-France circulent sur l’actuel territoire de l’Ontario de 1610 à 1760, pour commercer avec les Autochtones et les évangéliser. Ils jettent les bases des villes de Kingston, Windsor et Toronto. Ce sont cependant des milliers d’anglophones venus des États-Unis dans les années 1780 qui peuplent principalement l’Ontario, suivis d’un flot d’immigrants britanniques au 19e siècle.
De nombreux Canadiens français du Québec émigrent également en Ontario pour y pratiquer l’agriculture, ou travailler dans les mines et la forêt. Plusieurs participent au développement de l’État fédéral canadien, à Ottawa, après 1867. Plus récemment, des francophones du monde entier choisissent Toronto et Ottawa comme lieu de résidence.
La francophonie ontarienne revêt maints visages et s’exprime de plusieurs façons : littérature, chanson, éducation, commerce, organisation communautaire et services gouvernementaux. Les francophones apportent une précieuse contribution au dynamisme de l’Ontario et à son caractère multiculturel.
Les premiers Français en territoire ontarien
En 1615, l’explorateur français Samuel de Champlain, fondateur de Québec et de la Nouvelle-France, se rend au pays de ses alliés hurons-wendats qui habitent sur les rives de la baie Georgienne (au nord-est du lac Huron), au centre de l’Ontario actuel. Les rapports entre les deux peuples sont harmonieux et complémentaires. Malheureusement, la ferme volonté des missionnaires jésuites de convertir les Hurons-Wendats à la foi catholique conduit à un drame collectif : la destruction de la Huronie et la dispersion de ses habitants devant leurs ennemis traditionnels iroquois, en 1650.
Cinquante ans plus tard, le partenariat historique entre les Français et les nations autochtones se consolide par la signature du traité de la Grande Paix de Montréal, en 1701, entre les Français et des dizaines de nations autochtones, dont plusieurs vivent sur le territoire qui deviendra l’Ontario. Ce traité permet la fondation de la ville de Détroit – dont Windsor est aujourd’hui la prolongation canadienne.
Parmi les 7 590 francophones qui habitent toujours la région de Windsor selon la définition inclusive de francophone de l’Ontario et le recensement de Statistiques Canada de 2016, plusieurs descendent de ces pionniers français. Les autres sont issus des agriculteurs venus du Québec au milieu du 19e siècle.
La colonisation agricole de l’Est ontarien
Le plus important afflux de francophones en Ontario se produit dans la seconde moitié du 19e siècle. Les autorités de la province veulent accroître le peuplement et développer l’agriculture. Au même moment, le Québec, qui est peuplé depuis plus longtemps, déborde. Les Canadiens français sont donc nombreux à profiter des conditions favorables que l’Ontario met en place à partir de 1868, un an après la création du Canada, dont l’Ontario est une province fondatrice.
Soutenus par l’évêque catholique d’Ottawa et le clergé du Québec, des Québécois traversent la rivière des Outaouais pour s’établir à proximité de leur lieu d’origine, dans le nord-est de l’Ontario, où les terres sont propices à la production laitière. En 1911, ces 42 000 Canadiens français concentrés dans les Comtés unis de Prescott et Russell représentent 64 % de la population de cette région. Ils occupent aussi des emplois manufacturiers dans la ville de Cornwall, un peu plus au sud, où ils sont également majoritaires.
Aujourd’hui, les plus fortes concentrations de francophones ontariens se situent toujours dans les Comtés unis de Prescott et Russell, par exemple à Casselman, Hawksburry ou Saint-Albert, où l’ambiance francophone rappelle le Québec.
Ottawa, capitale de l’Ontario français
Un peu plus à l’ouest, l’exploitation forestière attire des bûcherons canadiens-français dans la région de Bytown au début du 19e siècle. Puis la construction du canal Rideau procure du travail à d’autres immigrants québécois entre 1826 et 1832. Les francophones sont assez nombreux à Bytown pour qu’un collège bilingue y voie le jour en 1848. Lorsque cette petite ville devient Ottawa, capitale du Canada, ce collège se transforme en une université bilingue, l’Université d’Ottawa. Plusieurs francophones fréquenteront cette institution phare de l’enseignement supérieur au Canada français.
De plus, les députés francophones qui siègent au parlement d’Ottawa amènent avec eux du personnel politique et administratif. Ces employés proviennent presque tous du Québec. Avec les ouvriers qui profitent de la croissance économique de la capitale, les francophones représentent le tiers de la population d’Ottawa au début du 20e siècle. Ils sont majoritaires dans la basse ville et à Eastview, qu’on renommera Vanier.
En 1926, c’est justement à Vanier que l’élite nationaliste canadienne-française fonde l’Ordre de Jacques-Cartier, une organisation secrète qui a pour mission de promouvoir les intérêts des Canadiens français et de développer leur présence dans les institutions canadiennes, où ils sont en minorité. Cet Ordre vise aussi à « bilinguiser » l’État fédéral par l’embauche de fonctionnaires canadiens-français. Il étendra son influence à travers le Canada et favorisera la création des clubs Richelieu, notamment, puis disparaîtra en 1965.
Aujourd’hui, les quelque 162 235 francophones qui habitent la ville d’Ottawa, selon la définition inclusive de francophone de l’Ontario et le recensement de Statistiques Canada de 2016, sont d’origine de plus en plus diversifiée, bien qu’en majorité canadienne. Ils représentent un peu moins de 18 % de la population.
Sudbury et le Nord-Est ontarien
Toujours au 19e siècle, plusieurs Canadiens français remontent la rivière des Outaouais en direction nord-ouest. Ils travaillent en forêt ou dans l’agriculture, par exemple à Mattawa, où ils sont en majorité. En 1883, une voie de chemin de fer atteint Sudbury. Une autre voie passe encore plus au nord entre 1907et 1914. De nombreux francophones profitent de ces deux voies de chemin de fer pour s’établir dans les régions nord-est de l’Ontario.
À Sturgeon Falls (aujourd’hui Nipissing Ouest), sur les rives du lac Nipissing, ou à Verner, Noëlville et Saint-Charles, les premiers colons sont recrutés par des prêtres colonisateurs aux États-Unis, où ces Canadiens français avaient émigré. Ils arrivent à la fin du 19e siècle pour exploiter la forêt et s’adonner à l’agriculture. D’autres habitants du Québec les y rejoignent.
La région de Sudbury attire aussi des Canadiens français du Québec pour les mêmes raisons : la terre et la forêt. Mais quand on y découvre le plus important gisement de nickel au Canada, plusieurs deviennent mineurs. En 1911, 35 % de la population de Sudbury est francophone. Non loin, dans le Moyen-Nord, une vingtaine de paroisses sont bilingues ou françaises. Les Canadiens français sont en majorité dans quelques villages. Le prolongement du chemin de fer vers le nord-ouest permet la création des villes de Timmins, Kapuskasing et Hearst, où les francophones sont encore plus nombreux. Aujourd’hui, 89 % des 4 975 habitants de Hearst sont francophones selon la définition inclusive de l’Ontario et le recensement de Statistiques Canada de 2016.
En 1913, les Jésuites fondent à Sudbury le Collège du Sacré-Cœur, qui devient presque aussitôt entièrement francophone. En 1957, il se transforme en l’Université de Sudbury, aujourd’hui affiliée à l’Université Laurentienne qui est bilingue. Ses diplômés sont à l’origine d’une importante prise de conscience identitaire et culturelle dans les années 1970, un mouvement qui transforme les Canadiens français de l’Ontario en Franco-Ontariens. Cette nouvelle identité s’exprime par la création de la maison d’édition Prise de parole, du Théâtre du Nouvel-Ontario, de la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario et du drapeau franco-ontarien. Avec l’ouverture du Collège Boréal en 1995, Sudbury demeure un important pôle éducatif et culturel de l’Ontario français.
D’autres localités franco-ontariennes
Il existe plusieurs autres communautés francophones disséminées sur le territoire ontarien. En Huronie, l’ancienne terre des Hurons-Wendats, sur les rives de la baie Georgienne, bon nombre de francophones habitent dans le triangle formé par Penetanguishene, Lafontaine et Perkinsfield. Certains de leurs ancêtres s’adonnaient à la traite de fourrures et s’y sont établis dès 1828. Des agriculteurs du Québec les ont rejoints par la suite. Cette communauté bien organisée dispose d’écoles, d’une radio, d’un journal, d’un centre communautaire et tient un événement musical annuel, le Festival du loup.
Dans la péninsule du Niagara, les manufactures de Welland attirent des familles canadiennes-françaises au début du 20e siècle. Hôtes des Jeux franco-ontariens en 1997, 5 355 Franco-Ontariens de cette ville (selon la définition inclusive de francophone de l’Ontario et le recensement de Statistiques Canada de 2016) bénéficient de services gouvernementaux en français, d’écoles et de centres d’appel procurant des emplois bilingues.
Les quelques milliers de francophones qui vivent à Thunder Bay ou à Sault Ste. Marie représentent moins de 5 % de la population de chacune de ces localités. Dans ces villes moyennes, le rapport de force linguistique, ajouté à la prédominance de l’anglais dans les familles où l’un des conjoints est anglophone, accroît la fréquence du passage des francophones à l’anglais. En général, les institutions francophones sont peu nombreuses dans le sud de l’Ontario, où habite la majorité de la population.
Toronto, métropole multiculturelle
Parmi les 2 704 415 personnes qui habitent le Grand Toronto, 2,3 % (ou 63 055 personnes) sont francophones selon la définition inclusive de francophone de l’Ontario et le recensement de Statistiques Canada de 2016. Plusieurs sont Franco-Ontariens ou d’origine québécoise, mais la majorité provient de l’étranger – des Antilles, d’Europe ou d’Afrique. Dans ce creuset urbain où quelques langues minoritaires sont davantage parlées que le français – notamment le mandarin, l’italien et l’espagnol –, l’anglais s’impose comme langue commune.
Bien que très animée, avec ses médias, ses écoles, ses nombreux organismes et ses activités culturelles variées, la communauté franco-torontoise est moins influente que celles de l’Est et du Nord-Est ontarien, plus nationalistes.
Les enjeux de l’éducation
Au 19e siècle, on met très tôt en place un bon système public d’éducation sur le territoire actuel de l’Ontario, tant en français qu’en anglais. Il se maintient lors de la création du Canada. Mais la situation se corse dans les années 1880-1890 avec la montée de l’impérialisme britannique. Des groupes pressent le gouvernement provincial d’imposer l’enseignement de la langue anglaise au primaire et de limiter l’enseignement en français aux contextes où cela s’avère nécessaire. En 1911, la communauté francophone forme 8 % de la population ontarienne, une proportion perçue comme menaçante, et plusieurs anglophones expriment ouvertement leur opposition à toute forme d’enseignement du français, une langue que certains qualifient d’« étrangère » et d’« arriérée ».
Le règlement 17 interdit l’enseignement en français au-delà de la deuxième année à partir de 1912. En général, les francophones s’opposent à cette interdiction. Certains y voient une atteinte au pacte conclu en 1867 entre les Canadiens français et les Canadiens anglais, qui devraient disposer des mêmes droits au Canada. À Ottawa, les élèves descendent dans la rue et l’enseignement du français est maintenu dans l’illégalité. On saisit même l’Assemblée législative du Québec, le Parlement du Canada et le Vatican de la question en 1916. Finalement, le règlement 17 est abrogé en 1927 pour mettre fin à la crise.
Dans les écoles publiques françaises, l’enseignement devient néanmoins bilingue à la fin du cours primaire, et les écoles secondaires publiques bilingues sont moins nombreuses que les unilingues anglaises, une situation propice à la perte du français. Les écoles exclusivement françaises sont toutes privées, de sorte que bien des Franco-Ontariens, qui ne peuvent payer les coûts des écoles privées, ne fréquentent pas l’école secondaire. Ce n’est qu’en 1968 que le gouvernement ontarien accepte de financer des écoles secondaires publiques de langue française gratuites, que les School Boards (conseils scolaires) de plusieurs localités refusent cependant de construire.
Des luttes citoyennes s’engagent alors pour obtenir des écoles publiques françaises gratuites : boycottage de cours, commission ministérielle, ouverture d’écoles parallèles et procès. Finalement, quelques écoles publiques de langue française ouvrent leurs portes. C’est la Charte des droits et libertés, enchâssée dans la Constitution canadienne en 1982, qui permettra de faire des gains décisifs devant les cours de justice. Les francophones obtiendront finalement la gestion de 12 conseils scolaires regroupant toutes leurs écoles primaires et secondaires en 1998.
L’avenir de l’Ontario français
Un réseau complet d’écoles françaises accueillant 105 696 élèves en 2016 aux paliers primaire et secondaire est maintenant en place. L’éducation postsecondaire est également disponible à Ottawa, Sudbury et Toronto. Quelques universités bilingues complètent le réseau d’éducation en langue française, notamment l’Université d’Ottawa qui attire 13 000 étudiants dans ses programmes offerts en français. L’Ontario se dotera également bientôt d’une université francophone desservant le sud de la province, appelée l’Université de l’Ontario français.
Depuis 2009, la province définit de façon élargie les personnes qu’elle considère francophones. En vertu de cette définition inclusive, sont considérées comme francophones les personnes résidant en Ontario pour lesquelles la langue maternelle est le français, ainsi que les personnes pour lesquelles la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais, mais qui ont une bonne connaissance du français comme langue officielle et qui utilisent le français à la maison. L’usage de cette notion plus englobante a pour but de favoriser un plus grand sentiment d’appartenance à la communauté francophone de la part de toutes les personnes qui parlent le français, qu’elles soient issues de l’immigration non-francophone ou qu’elles étudient en immersion française.
Grâce à l’immigration, particulièrement forte depuis quelques années, la communauté francophone de l’Ontario est en croissance. Elle compte des professionnels, intellectuels, chercheurs, artistes et créateurs qui lui confèrent une grande vitalité. En même temps, la migration des Franco-Ontariens vers la langue anglaise demeure globalement élevée. Dans la province la plus peuplée du pays, le défi que doit relever cette communauté diversifiée et dispersée est de freiner l’exode des régions à majorité francophone et d’augmenter l’immigration francophone pour revigorer le réseau institutionnel et la société civile franco-ontarienne.